L'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) tient son 5ème congrès national à Pau, du 24 au 26 novembre 2009. Revendiquant la quatrième place sur l'échiquier syndical français, derrière la CGT, la CFDT et Force ouvrière, l'UNSA développe, dans un esprit réformiste, un syndicalisme donnant place au corporatif, au catégoriel, à l'autonomie militante. La démarche est, dans la société française actuelle, plutôt porteuse.
Plus fort l’UNSA ! : tel est le mot d’ordre adopté par l’UNSA à l’occasion de son 5ème congrès national, réuni à Pau, du 23 au 26 novembre 2009. Quelque 1200 délégués et invités sont attendus pour débattre de l’avenir de l’organisation syndicale française qui, en termes d’effectifs et, probablement, d’audience électorale, se positionne comme la quatrième.
Autonomie ou confédéralisation ?
Le terme de congrès national traduit une première spécificité de l’UNSA. Les autres organisations parlent habituellement de congrès confédéral.
L’UNSA, rassemblement relativement récent de syndicats et fédérations autonomes constitué depuis 1993, ne se définit pas en effet comme une organisation confédérale, au contraire de la CGT, de FO, de la CFTC ou de la CFDT. Ce modèle coiffe d’une superstructure les unions syndicales territoriales et les fédérations de branche d’activité.
Or, l’UNSA s’est édifiée sur la base d’organisations autonomes, qui rejetaient le modèle confédéral, jugé trop politique et bureaucratique, pour privilégier la défense professionnelle, l’union catégorielle ou corporative. L’Education nationale, la police, l’administration pénitentiaire, la maîtrise et les cadres de la SNCF constituent quelques uns de ces bastions.
Mais l’UNSA se présente aussi comme une organisation « interprofessionnelle », structurée autour de huit pôles d’activités et dotée d’un appareil national, dont un secrétaire général : Alain Olive. Cela tend à la rapprocher du modèle confédéral. Les efforts déployés pour la constitution d’un réseau d’unions départementales et régionales - dont le 5ème congrès annonce la poursuite - vont dans le même sens.
Cette « confédéralisation », plus ou moins rampante, s’imposerait-elle à qui veut jouer un rôle sur la scène sociale nationale, peser sur les pouvoirs publics et dans les grands dossiers sociaux, exister sur la scène médiatique ? Mais cela ne va pas sans causer, périodiquement, quelques remous internes. Derrière la question organisationnelle - autonomie ou confédéralisation -, il y a en effet deux visions de l’action syndicale et bien des enjeux de pouvoir et de partage des ressources. De surcroît, la désyndicalisation a accentué le clivage, opposant un syndicalisme de terrain, un syndicalisme d’enracinement social ou professionnel (qui s’est rétracté), à un syndicalisme plus institutionnel, un syndicalisme de « professionnels » ou de « fonctionnaires du social ».
Cette double question organisationnelle et identitaire s’est retrouvée au cœur de la problématique du rapprochement avec la CFE-CGC, lancé en 2008 avant d’échouer début 2009. La direction de l’UNSA, comme le rappelle le rapport d’activité présenté au congrès de Pau, avait misé sur la constitution de ce « pôle syndical réformiste ». Elle regrette que la CFE-CGC ait préféré finalement conserver son identité catégorielle. Et de souligner qu’une « organisation syndicale - sauf à disparaître à très court terme - ne peut se réduire simplement à témoigner ou à exercer une influence partielle et aléatoire ». Il s’agit donc bien de privilégier un syndicalisme « général », un syndicalisme « politique », sans aucun doute pour ancrer solidement dans le paysage social français un « pôle réformiste » - et, au moins partiellement, corporatif - face à la CGT et à la CFDT. Pourtant, cette stratégie était - sinon demeure - loin de faire l’unanimité. Ainsi, elle a été farouchement combattue par le syndicat UNSA-police, dont une partie a préféré faire scission pour rejoindre FO. Pour les policiers de l’UNSA, il était exclu de s’entendre avec leurs « adversaires » de l’Alliance-CGC que, pour des raisons sociales, politiques et même culturelles, ils ont toujours combattu. Mais cette scission tient aussi à questions plus obscures liées aux ressources syndicales.
Des positions « réformistes et combatives »
Un congrès consiste aussi pour un syndicat à se mettre en scène, à afficher sa force, à médiatiser sa ligne.
A l’occasion du congrès de Pau, l’UNSA rappelle ses « positions réformistes » mais également « combatives » (voir le projet de résolution générale du congrès, publié dans UNSA-magazine, sept. 2009). L’association des deux termes paraîtra antinomique. Mais c’est bien sur sa « combativité » nouvelle, éprouvée lors du mouvement social contre le CPE, en 2006, que l’UNSA entend mettre l’accent. Son rôle actif lors de celui-ci, en tant qu’organisation interprofessionnelle au côté des confédérations classiques, aurait conduit à sa « reconnaissance » dans l’opinion publique et par les médias. Elle aurait gagné ses galons de « lutteur »... et perdu toute inhibition vis-à-vis des autres organisations. Le statut « représentatif » de l’UNSA s’en serait trouvé consolidé. Il n’aurait plus été possible de tenir l’UNSA à la lisère de celui-ci. Cela explique aussi l’implication forte de l’UNSA au sein de l’intersyndicale qui s’est mise en place à compter de l’automne 2008 pour combattre la crise sociale.
L’UNSA n’en oublie pas pour autant ses « valeurs » plus traditionnelles : la négociation, la laïcité - marqueur indélébile d’une organisation héritière de la FEN (Fédération de l’Education nationale) -, l’autonomie bien sûr, gage de liberté mais aussi source de dilemme (comme on l’a souligné), la « promotion du modèle social européen ».
Favorable à une réforme des règles de représentativité syndicale, en raison de l’anachronisme et de l’injustice qui ont trop longtemps prévalu ici, l’UNSA s’est montrée critique à l’égard de la loi du 20 août 2008, cédant aux intérêts des confédérations dominantes (selon ses commentaires à chaud). Cela dit, l’UNSA entend résolument saisir les possibilités que la réforme offre aux implantations syndicales dans les entreprises à travers la désignation de RSS (représentants de section syndicale). Il importe donc d’adapter l’organisation à cette nouvelle donne juridique qui « va considérablement modifier le paysage syndical ».
Après s’être appuyée sur les élections prud’homales et, précisément, multiplié les candidatures à ce scrutin, pour construire un réseau national, l’UNSA fait donc le pari de cette « institution » nouvelle et, en apparence secondaire, le RSS, afin de se développer dans le secteur privé. Le RSS, représentant dans l’entreprise d’organisations syndicales non représentatives (parce qu’elles n’ont pas franchi la barre des 10% des suffrages exprimés aux élections professionnelles), est perçu comme un cheval de Troie qui doit permettre de prendre pied dans le salariat avant d’accéder, dans un second temps, à un statut représentatif. L’UNSA pense donc toujours son développement par l’appropriation de dispositifs juridiques et un certain jeu institutionnel.
Dans la fonction publique, l’UNSA préconise une plus grande coordination entre ses fédérations pour conserver sa représentativité (compte tenu, là aussi, de nouvelles règles - les accords de Bercy de juin 2008 -, un peu plus laxistes toutefois que la loi du 20 août 2008 qui concerne le secteur privé). Ce faisant, il s’agit d’ « assurer le renouvellement des générations [syndicales] », défi posé à toutes les syndicats compte tenu du départ en retraite des baby boomers, plus engagés dans des syndicats que la moyenne des salariés.
360 000 adhérents... ou 135 000 ?
Quelles sont les forces de l’UNSA et comment ont-elles évolué depuis le dernier congrès de 2005 ? Les textes préparatoires au congrès de Pau ne fournissent aucune indication sur les adhérents. La direction nationale se refuse également à toute déclaration. Le site Internet mentionne toutefois le chiffre de 360 000 adhérents... mais celui-ci - en ligne depuis des années - ne paraît guère crédible (et les dirigeants actuels ne le reprennent d’ailleurs pas dans leurs déclarations).
Cette absence de transparence sur les effectifs n’est pas propre à l’UNSA. Toutes les organisations font de même. On s’étonnera de même qu’aucun document ne soit disponible concernant la répartition des mandats entre les différentes composantes de l’UNSA avant le congrès. C’est pourtant une clé de celui-ci et des décisions qu’il prendra. Mais là encore, cette opacité n’est pas une caractéristique de l’UNSA. Le syndicalisme français nous a habitué à une absence de transparence sur ses effectifs et sur ses ressources.
A la suite du congrès de Nantes, en 2005, Benoît Verrier évoquait toutefois - d’après des sources internes et la répartition des mandats pour le congrès - une fourchette assez large de 192 000 à 305 000 adhérents à l’UNSA. Il ajoutait que la répartition des mandats sur la base des seuls pôles professionnels aboutissait à 128 000 mandats, chiffre sans doute proche de la réalité des adhérents en chair et en os (Les syndiqués en France, sous la direction de Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, Liaisons sociales, 240 pages, 2007).
Le tableau n° 1, ci-dessous, rappelle quelle était cette répartition des mandats par pôle professionnel. Cela éclaire bien les zones de forces de l’UNSA : avant tout les personnels de l’Education nationale (représentant encore - très probablement - une moitié des effectifs).
Sur une autre base - croisant les effectifs syndicaux de différentes organisations et les audiences aux élections professionnelles - cette même étude sur la syndicalisation en France aboutissait à une estimation assez voisine des effectifs de l’UNSA : 135 000 adhérents.
Tableau 1 : La répartition des mandats au congrès de l’UNSA de 2005 par pôle professionnel
Source : D. Andolfatto, D. Labbé, Les syndiqués en France, éditions Liaisons, 2007.
Il n’est pas possible de préciser comment ces chiffres ont évolué depuis lors. Compte tenu de la poursuite de la désyndicalisation, certes à un rythme ralenti depuis les années 1990, il est probable que ces chiffres ont reculé. Il importerait également de mesurer comment un événement tels que la scission de l’UNSA-police impacte cette évolution.
Pour autant, cela ne signifie pas que l’UNSA n’aurait pas réussi à consolider ses implantations, notamment dans le secteur privé, ses terres de mission. De fait, un syndicalisme purement institutionnel - soit un syndicalisme de délégués syndicaux ou d’élus du personnel (et bientôt de RSS ?) - semble se développer si l’on en croit les études du ministère du travail. Ces représentants syndicaux peuvent compter sur le soutien périodique d’électeurs mais ne recrutent pas - ou peu - d’adhérents. Ce serait l’un des « paradoxes » du syndicalisme français.
De « bons résultats électoraux » ?
Les résultats des élections professionnelles apportent un éclairage plus précis. Agrégeant les résultats des élections prud’homales à ceux des élections internes à la fonction publique, l’UNSA déclare - dans le rapport d’activité préparatoire au congrès de Pau - 598 000 électeurs, correspondant à 8,56% des suffrages exprimés lors de ces consultations et conférant à l’organisation la quatrième place sur l’échiquier syndical.
L’addition des résultats de ces deux consultations posent tout de même question. Sans doute serait-il plus judicieux de prendre en compte, pour le secteur privé, des résultats des élections aux comités d’entreprise (compte tenu de la forte abstention qui caractérise les élections prud’homales). Mais le ministère du travail - pour « des raisons statistiques » que l’on comprend mal (voir Premières synthèses, oct. 2008, n° 40.3) - ne publie pas le détail des résultats pour l’UNSA, lesquels sont agrégés à ceux des « autres syndicats » et, notamment, à ceux des syndicats SUD ! Cette dernière note officielle sur le sujet soulignait toutefois que « les syndicats affiliés à Solidaires [SUD] et à l’UNSA ont progressé régulièrement depuis leur création respective » et obtiennent « des scores élevés dans les établissements où ils sont durablement implantés ».
On illustrera cette situation avec le cas de la SNCF où l’UNSA a réalisé 18,1% des suffrages exprimés en 2009 (contre 14,5% en 2006), devenant le second syndicat de l’entreprise. Cela correspond à un gain de près de 3 500 suffrages. Dans ce cas, on peut donc parler d’une progression réelle sinon sensible (laquelle paraît s’être réalisée notamment au détriment de la CFDT).
Par contre, dans la fonction publique d’Etat, l’audience de l’UNSA apparaît plutôt stagner, voire légèrement reculer (en nombre d’électeurs) alors qu’il s’agit de bastions historiques. Cela s’explique notamment par le recul des effectifs de fonctionnaires ainsi que par celui de la participation électorale (voir le tableau 2 ci-dessous).
Tableau 2 : L’évolution de l’audience de l’UNSA dans la fonction publique d’Etat (élections aux commissions administratives paritaires centrales)
AnnéeVoixSuffrages exprimés en %Classement de l’UNSA par rapport aux autres organisations200222595015,9%2ème (derrière la FSU)200521907016,0%3ème (derrière la FSU et la CGT)200821651916,8%2ème (derrière la FSU)
Source : Josette Wertheim, Résultats des élections aux CAP centrales 2006-2008, Ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique, 2009 [et rapports antérieurs].
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