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Photo du rédacteurDominique Andolfatto

La CFDT, cette inconnue

Jacques Chérèque - le père de François - a publié ses mémoires {La rage de faire}, aux éditions Balland en 2007. Le livre n'a pas fait beaucoup de bruit, malgré certaines confidences et, bien sûr, le parcours étonnant du personnage : ancien dirigeant de la CFDT, il a endossé l'uniforme de préfet avant de devenir ministre de François Mitterrand (à l'aménagement du territoire). Plus largement, il nous invite à un voyage dans l'univers de la CFDT.


Lorsqu’il accepta le poste de préfet délégué à la reconversion industrielle de la Lorraine, en 1984, Jacques Chérèque écrit qu’il dût affronter la « franche hostilité » de la CGT, mais aussi l’embarras de ses camarades cédétistes.


N’était-ce pas renoncer à se battre et accepter de gérer la crise ? Mais Jacques Chérèque défend la cohérence de son itinéraire. La volonté oblige à briser les murs. Il a cherché à inventer concrètement un autre avenir.


Le préfet de la région Lorraine ne montra d’ailleurs pas plus d’enthousiasme à accueillir le syndicaliste dans le corps préfectoral.


Une autre anecdote du livre, concernant une réception des dirigeants de la CFDT à l’Elysée, en 1975, témoigne de cette même vision cloisonnée de la société. Le président Valéry Giscard d’Estaing, tout en appelant pourtant à une recomposition sociale, ne comprit pas - nous dit Chérèque - qui étaient ces « gens là », qui lui avaient demandé audience pour exposer leurs projets, ces cédétistes « pas vraiment de son monde »...



Jacques Chérèque et la CFDT seraient-ils des intouchables ? C’est bien ainsi que beaucoup les auraient perçus (voire continueraient à le faire) semble nous dire l’ancien syndicaliste. Il s’efforce donc de retourner cette approche pour démontrer, en réalité, beaucoup de pragmatisme - personnel et organisationnel-, un esprit d’ouverture, la volonté d’être « partie prenante du débat démocratique », ce qui ne peut s’accommoder de rôles ou de positions figées. Ainsi, la CFDT incarnerait d’abord un syndicalisme dynamique et décomplexé.

- L’anti-CGT ? -

Le livre plonge dans soixante ans d’histoire sociale et syndicale. Il commence par la rencontre entre un nouveau salariat et une organisation syndicale - alors la CFTC - qui ouvrait un espace militant novateur entre la CGT et la CGC. Jacques Chérèque, d’abord ouvrier dans une aciérie, devient très vite contremaître puis ingénieur-maison et adhère à la CFTC.


Si la CGC lui apparaît alors étroitement catégorielle, voire élitiste, la CGT affiche une « pratique... à la fois très classique et très politisée » qu’il rejette doublement. La CGT « revendique des acquis matériels conséquents, mais n’intervient pas sur le fond..., ne met en cause ni la manière dont le patronat exerce son pouvoir ni sa stratégie d’entreprise ». Bref la confédération conteste le système, à la remorque du PCF mais, finalement, ne propose rien pour le changer, si ce n’est dans des motions de papier.

Dans les années 1980, l’affaire Solidarnosc rappelle à point nommé le bien-fondé de cet engagement syndical alors que la guerre froide se révèle de moins en moins un identificateur central pour les générations nouvelles et que se profile un monde post-communiste.


Définir en termes positifs la CFTC (puis la CFDT) semble plus complexe ou attendu. C’est le choix d’un « syndicat démocratique », d’un syndicat au « double rôle... : défense des intérêts des salariés et transformation de la société ».

- Histoire syndicale -

Dans cette histoire syndicale, certains épisodes ont compté plus que d’autres. L’ancien militant de la CFTC revient sur « l’évolution » vers la CFDT (1964). Il le fait non sans nostalgie pour le militant chrétien qu’il fut.

Non seulement, il ne parle pas de « déconfessionnalisation » mais il tire un coup de chapeau à l’un des principaux opposants à celle-ci, Joseph Sauty, « un vrai leader ouvrier, qui a été au moins aussi virulent que les communistes [il y a toujours beaucoup de fascination pour ces derniers] lors de la grande grève des mineurs de 1963 ».


Dans le livre, aucun leader de la CFDT ne reçoit un tel hommage, si ce n’est Jean Maire, qui dirigea la fédération de la métallurgie. En revanche, avec Edmond Maire, secrétaire général de la CFDT de 1971 à 1988, on note des incompréhensions, voire des tensions : « avec lui..., nos points de vue divergent et divergeront » écrit sobrement Jacques Chérèque, sans que l’on en sache plus. Cela masque une rivalité entre des personnalités fort différentes et, probablement, pour le pilotage de la confédération.


Lorsqu’il est question de trouver un successeur à Edmond Maire, qui « a apporté en termes de réflexion et de projection sur l’avenir » - propos minimaliste -, Jacques Chérèque brosse un portrait qui correspond au sien : « quelqu’un ayant un profil plus terrain, plus local, plus ouvriériste »... Mais c’est un lapsus anachronique puisque le responsable cédétiste s’est déjà reconverti, en 1988, dans la haute administration et la politique. Ce profil annonce donc celui de Jean Kaspar, qui succède à Edmond Maire.




Le Monde du 4 mai 1984 annonce la nomination de Jacques Chérèque au poste de commissaire de la République (préfet) « chargé de la mission de diversification industrielle et de développement de la Lorraine. »


Michel Noblecourt y indique que depuis mai 1981 (élection de François Mitterrand à la présidence de la République) « c’est le quatrième dirigeant de la commission exécutive de la CFDT, après Mme Laot, MM. Roland et Lesire-Ogrel, qui accepte des responsabilités dans la sphère gouvernementale ».

Le Matin du même jour commente, sous la plume de Denis Pingaud, que « le numéro deux de la CFDT doit d’une certaine façon son poste à la malédiction qui semble frapper les membres de la commission exécutive promis à la succession de Maire ».


Jacques Chérèque revient brièvement sur ce secrétaire général éphémère, qui démissionne après le congrès cédétiste de 1992. Il explique cette décision soudaine par un « isolement » dû à la fonction alors que Kaspar était « adepte de la méthode collégiale. Mais à force de tout mettre sur la table, il s’est... tiré une balle dans le pied ». Cela interroge finalement sur le « gouvernement » d’une confédération, voire sur la démocratie syndicale.


Quant à Nicole Notat, qui succède à Jean Kaspar, Jacques Chérèque (bien que lorrain comme elle), avoue qu’il ne la connaissait pas lorsqu’elle accéda aux instances confédérales, en 1982. Cela paraîtra étonnant, eu égard à la suite de l’histoire. Nicole Notat, institutrice, a témoigné, en effet, avoir découvert le monde ouvrier à travers les métallos et sidérurgistes lorrains. Mais il est vrai que Jacques Chérèque, permanent national depuis 1965, est resté longtemps éloigné de sa région natale.


Cela révèle aussi un parcours qui paraît d’abord le produit d’opportunités individuelles alors qu’on pourrait supposer que, dans une organisation syndicale, les logiques collectives priment. En particulier, Jacques Chérèque fait de sa nomination dans la préfectorale une affaire personnelle, qui devrait beaucoup au hasard des circonstances... Est-ce la réalité ou s’agit-il de gommer toute liaison et a fortiori confusion - toujours dangereuse dans l’opinion - entre syndicalisme et politique ?

- La CFDT dévoilée ? -

Le témoignage de Jacques Chérèque, s’il éclaire une histoire personnelle et collective, demeure également prudent... sans doute parce qu’il n’est pas sans conséquence sur la CFDT d’aujourd’hui...


Ainsi, sur le « recentrage », dont Jacques Chérèque a été pourtant l’un des acteurs mais ne prononce jamais le mot, on aurait aimé savoir plus. Tout au plus, l’ancien syndicaliste parle-t-il d’une « dérive intellectuelle et verbale qui atteint des sommets » à la fin des années 1970, allusion au gauchisme qui séduit alors certains militants, qu’il convient de corriger. S’il se trouve à la manœuvre, on ne saura rien du rapport de forces, des débats internes, de la genèse du rapport Moreau par exemple, juste mentionné sans qu’on ne sache rien de son contenu alors qu’il va réorienter la ligne de la CFDT, du nouveau projet syndical qu’il s’agit de porter. On a alors le sentiment d’une organisation syndicale qui évolue vers un modèle plus entrepreneurial, vers une sorte de « groupe d’intérêts ». S’affirme en effet la volonté d’édifier une organisation d’une nature nouvelle, une organisation post-idéologique, dont les ressources principales se trouveraient dans l’expertise - à plusieurs reprises, Jacques Chérèque souligne son importance, mentionnant notamment la création de Syndex -, dans la constitution de réseaux avec les milieux patronaux et, plus largement, dirigeants (comme ceux noués dans les coulisses du conflit Lip, qui sont évoqués), dans les positions et reconnaissances croisées que fournit le nouvel internationalisme syndical.


Bien sûr, l’auteur du livre se trouve être aussi le père du secrétaire général actuel de la CFDT (ce qui explique sans doute certaines réserves du livre), François Chérèque, qui a succédé à Nicole Notat en 2002. Là encore, le propos est millimétré. Spectateur du congrès CFDT de Grenoble, en 2006, Jacques Chérèque indique qu’il a été impressionné par son fils qui « maîtrise l’expression, tant sur la forme que sur le fond ». Mais encore ? Il nous fait part aussi de confidences de Nicole Notat, « sensible à l’enracinement [de François] sur le terrain ». L’ancienne secrétaire générale confie aussi que « François est porteur d’un certain nombre de grandes questions ayant de plus en plus d’importance dans l’évolution de la société française, notamment tout ce qui touche à la santé, à la protection infantile [il est éducateur spécialisé], mais aussi aux détresses présentes dans notre vie quotidienne ». On n’en saura pas plus... Mais, par petites touches, par tranches de vie, on découvre une organisation finalement peu connue...


Jacques Chérèque, La rage de faire. Entretiens avec Stéphane Bugat. Préface de Jacques Delors, Balland, 2007, 288 pages, 21 euros.

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