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Photo du rédacteurDominique Andolfatto

La CGT entre culture des profondeurs et besoin de changement

Indéniablement, la CGT évolue, même si les logiques d'action et les comportements militants demeurent marqués par plus de soixante années de contrôle communiste et si sa « culture des profondeurs » est toujours vivace.


Il est utile de repérer les signes de cette évolution tout comme il est nécessaire d'en mesurer la vraie dimension : propension à signer les accords collectifs, liens avec le Parti communiste, relations avec le MEDEF, solidité du secrétaire général, positionnement par rapport aux autres syndicats.

La CGT d’aujourd’hui est bien différente de celle de Krasucki et Viannet. Elle était comme tétanisée au début des années 1990, après la chute du mur de Berlin. Le refus délibéré de l’ouverture et les luttes internes gelaient toute adaptation. Ses effectifs plongeaient. L’anomie gagnait à tous les niveaux. Tardivement, ses dirigeants ont pris conscience de la nécessité d’une démarche moins politique, plus authentiquement syndicale. Cela s’est fait lentement, non sans résistance, car il n’a pas été aisé de convaincre un appareil et des militants attachés au syndicalisme « de classe et de masse » (comme on disait alors) de la nécessité du changement.


Bernard Thibault, arrivé au secrétariat général en 1999, a symbolisé ce tournant, mais il est apparu longtemps indécis. Longtemps, on a caricaturé le secrétaire général de la CGT en sphinx. Cependant, dans son sillage, un renouvellement de génération s’est produit, l’organisation s’est professionnalisée, les effectifs, mieux gérés, ont commencé à remonter ou à ne plus reculer, l’idéologie a fait place à plus de réalisme.


Etonnamment, c’est l’élection de Nicolas Sarkozy à l’Elysée qui a accéléré le processus. D’emblée, le président de la République, qui affiche un ambitieux agenda de réformes sociales, a cherché à faire des syndicats des interlocuteurs privilégiés. Très vite, la CGT a constitué un partenaire intéressant, compte tenu, notamment, de ses implantations dans les entreprises publiques où des réformes - d’abord celles des régimes spéciaux de retraite - devaient intervenir, sans parler de la solide notoriété que conserve le syndicat dans l’opinion publique. Ainsi, le petit automne chaud de 2007 a tourné court assez vite. Le secrétaire général de la CGT a appelé à la négociation après une seule journée de grève, ce qui a dérouté certaines équipes locales prêtes à en découdre. Puis la CGT ne s’est pas opposée à l’accord du 11 janvier 2008, qui facilite la rupture du contrat de travail et ébauche une flexisécurité à la française. Certes, elle ne l’a pas paraphé mais elle a admis que le patronat « a enfin bougé », légitimant indirectement le texte. Dernièrement, c’est la « position commune » du 9 avril 2008 sur la représentativité qui a fait se retrouver la CGT, la CFDT et le MEDEF, lequel, manifestement, avait pour objectif d’aboutir à un accord avec la première, même si bien des employeurs restent prudents sinon dubitatifs quant à la révolution des relations professionnelles qui s’esquisserait...



Nicolas Sarkozy et Bernard Thibault en mai 2007 à l’Elysée

La CGT n’est donc plus tout à fait la même. Mais des permanences se remarquent aussi. Par exemple, comme il y a quarante ans, en mai 68, ne peut-on parler de compromis - certes froids mais réalistes - avec le gouvernement ? Des intérêts croisés existent. De nombreuses rencontres, médiatisées ou non, sont intervenues. Ce faisant, la CGT a réussi à se repositionner au centre du jeu social, reprenant une place longtemps occupée par FO puis par la CFDT. Mais cette centralité peut aussi réveiller un front anti-CGT. La confédération doit probablement se méfier de l’ivresse des sommets...


De surcroît, avec le projet de transposition dans la loi de la « position commune » du 9 avril 2008 sur la représentativité et le dialogue social, la CGT paraît éprouver le sentiment de s’être fait jouer, le gouvernement s’immisçant au final dans cette « position commune » pour favoriser des accords qui remettent en cause les 35 heures dans les entreprises. C’est peut être la conséquence logique d’un syndicalisme institutionnel et d’une sorte de constitutionnalisme social, auxquels s’est ralliée la CGT, qui ne saurait se substituer à des équipes syndicales de base défaillantes ou absentes. On pourrait en quelque sorte appliquer à ces derniers rebondissements une célèbre formule de Marx lors de la révolution de 1848 : « Pendant que la commission des travailleurs [qui fédéraient alors les diverses organisations corporatives] cherchait la pierre philosophale, le gouvernement frappait la monnaie ayant cours »...

- La signature d’accords n’est plus un tabou -

Concrètement, ce repositionnement se mesure sur le terrain de la négociation collective. La question est celle de la propension à signer des accords.

La CGT signe-t-elle aujourd’hui plus d’accords qu’elle n’en a fait avant ?



Laurence Parisot et Bernard Thibault

Depuis son congrès de 1999, la CGT entend conjuguer à la fois la lutte et la négociation. Elle ne s’interdit plus la signature d’accords. Pour autant, faut-il parler de ce qui serait une révolution copernicienne ? Si l’on en croit les chiffres de l’administration du travail, le taux de signature des accords par la CGT n’a que faiblement évolué depuis vingt ans.


Au niveau national - branches d’activités et inter-professionnel - la CGT avalisait en 1988 un quart des textes qu’elle négociait. Selon les dernières données disponibles, relatives à 2006, elle en a paraphé 35 %. On observe donc bien une progression, mais la CGT s’oppose encore aux deux tiers des accords négociés nationalement.


Dans les entreprises, les choses sont différentes, mais l’évolution tout aussi lente. En vingt ans, les équipes locales de la CGT ont vu leur taux de signature passer de 75 % à 83 %. Au passage, cela dément le fait que la CGT serait arc-boutée dans une stratégie de la lutte ou du refus. Manifestement tel n’est pas le cas dans les entreprises, ce qui renforce la stratégie du MEDEF qui entend privilégier aujourd’hui la décentralisation des négociations collectives. En revanche, aux niveaux plus centraux, la CGT campe le plus souvent sur des positions de principe.

- Diversification politique -

Autre élément de mesure d’une possible évolution : les liens avec le PCF.


Le PCF, sauf pour ce qui concerne quelques fiefs municipaux, a vu son audience se réduire comme une peau de chagrin. L’idéologie communiste constitue bien souvent un repoussoir, même si elle conserve des poignées de fidèles et peut nourrir, au-delà, une étrange nostalgie. La CGT n’a plus beaucoup d’intérêt à rester à la remorque d’une organisation politique dont l’effondrement a failli également l’emporter. Depuis la fin des années 1990, la CGT s’est donc efforcée de prendre des distances par rapport au PCF. Pour autant, bien des cadres du syndicat - au premier rang desquels le secrétaire général - demeurent encartés au parti... à titre personnel. Les nuances politiques qui existent au PCF peuvent également se répercuter au sein de certaines équipes militantes.


Mais les affinités politiques se sont diversifiées. Une partie des nouvelles élites de la centrale sont proches du PS. Les évolutions de la ligne confédérale ont également renforcé une minorité trotskyste, souvent proche de LO. Pour autant, comme au sein des autres confédérations, l’organisation paraît d’abord pilotée par des professionnels dont les convictions - quand elles existent - sont secondes par rapport aux intérêts en jeu.

- La culture des profondeurs demeure -

En avril 2008, les fédérations et les UD qui composent le Comité confédéral national (le « parlement » interne) ont voté « oui » au texte sur la représentativité, comme la Commission exécutive. Est-ce à dire que le psychodrame autour de la Constitution européenne, rejetée par le même Comité confédéral, en 2005, contre l’avis du secrétaire général, est définitivement derrière ?



Ce n’est pas certain. Un tiers des organisations, fédérations ou unions départementales, n’ont pas entériné la « position commune » sur la représentativité lors du dernier CCN. Sur un sujet moins technique - et plus passionnel -, une opposition peut toujours se réveiller. La direction confédérale s’est d’ailleurs bien gardée d’avaliser l’accord national de janvier dernier sur le marché du travail. Cela démontre combien le « tournant » de la CGT, que beaucoup soulignent, doit être nuancé. Il ne faut pas croire que la CGT, malgré son réalisme, a tourné la page du syndicalisme de classe. Une culture des profondeurs, empreinte de radicalisme, n’a pas disparu. Elle n’est pas sans donner du fil à retordre à la confédération. On pourrait aussi parler d’un télescopage entre le mouvement social que veut incarner la CGT (mais qui lui échappe également) et des logiques plus étroites d’appareils préoccupés de tactique ou d’ingénierie sociale.

- Bernard Thibault tient-il la barre ? -

La question de la solidité du secrétaire général est, dans ce contexte, importante. La tâche est très difficile, qui consiste à maintenir la cohérence d’un appareil tout en introduisant la notion de changement. Bernard Thibault s’y emploie avec tact.


Le personnage a indéniablement du charisme mais il ne donne pas toujours l’impression de bien vivre son rôle de secrétaire général. On le sent comme en mission et, parfois, tenté de tourner la page, de cultiver un jardin secret. A plusieurs reprises, la rumeur l’a donné partant. Serait-il intéressé par une fonction plus internationale ? En décembre dernier, on l’avait vu, par exemple, en compagnie du président Lula au Brésil puis au FMI à Washington. Voudrait-il jouer un rôle plus actif dans le cadre de la nouvelle Confédération syndicale internationale, créée en 2006, justement pour réinsérer la CGT sur la scène mondiale ?


Le prochain congrès de la confédération, qui se tiendra du 7 au 11 décembre 2009, se prépare déjà. Un renouvellement important de la direction confédérale est d’ores et déjà programmé.

- Les relations inter-syndicales -

Faire évoluer la CGT, c’est poser la question de ses relations avec les autres organisations.

Concernant la CFTC, la CFE-CGC et l’UNSA, la réponse est donnée par la position commune sur la représentativité, dont la logique paraît celle - à terme - de leur élimination (CFTC, CFE-CGC) ou de leur non-reconnaissance (UNSA).


Concernant Force ouvrière, on pourrait imaginer que les deux organisations puissent se retrouver. Ne partagent-elles pas une même histoire ? Et les motivations de la scission de 1947 ne sont-elles pas caduques ? Mais la force de la culture communiste au sein de la CGT, comme, plus encore, des intérêts d’appareil interdisent tout rapprochement rapide.


La question de la CFDT est plus délicate. La CGT et la CFDT ont des intérêts communs, en tant qu’entreprises militantes. A travers le changement des règles relatives à la représentativité syndicale, les deux organisations espèrent consolider leurs positions et accroître leurs ressources. De même, lorsqu’il s’agira de clarifier les modes de financement du syndicalisme, elles feront probablement cause commune.


Mais les identités ou les objectifs demeurent dissemblables, et les deux confédérations sont en concurrence auprès des salariés. Laquelle concurrence se renforcera dans l’hypothèse d’un duopole syndical.


Les divergences lors des mouvements sociaux de 2003, concernant les retraites des fonctionnaires, ont laissé de profondes cicatrices. Même si l’on a souligné le défilé commun du 1er mai 2008 (le premier en commun depuis 2003), on ne peut pas parler d’alliance.



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