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Les élections prud'homales et la représentativité syndicale

Depuis 1979, le taux de participation aux élections prud'homales ne cesse de chuter. Faut-il vraiment asseoir la représentativité syndicale sur l'audience électorale ?


Il est indéniable que la classe politique, les dirigeants syndicaux, les journalistes, l’opinion publique (dans la mesure où elle s’y intéresse) n’attendent pas les résultats des élections prud’homales du 11 décembre prochain pour savoir si les électeurs ont su choisir des hommes compétents et impartiaux pour exercer les délicates fonctions de conseiller prud’homme, mais pour connaître la force relative, sur le plan électoral, des différentes organisations syndicales. Leur force surtout par rapport les unes aux autres , car, en un temps où notre système de représentativité est en débat et où l’on cherche à rattacher d’une façon ou d’une autre l’attribution de ce privilège à une consultation électorale, beaucoup se demandent si les élections prud’homales, la plus large consultation électorale du monde du travail, ne pourrait pas ou servir de base pour établir le droit à la représentativité nationale des confédérations ou servir de modèle pour fonder un système spécifique d’élection de représentativité, si l’on peut dire.


Ce n’est pas la première fois que l’on songe ainsi à se servir des élections prud’homales pour, si l’on peut ainsi parler, remettre ou tenter de remettre les montres à l’heure en fait de représentativité syndicale. On pourrait presque dire que ce fut, pour une bonne part, dans cette intention, du moins de la part de plusieurs des protagonistes, que fut mise en place, en 1979, le système actuel des élections prud’homales au suffrage universel des justiciables de ces tribunaux particuliers.


- Un système par désignation ? -


La réforme des conseils de prud’hommes était sur le métier depuis longtemps déjà et, considérant le taux dérisoire de participation des électeurs au scrutin ’ entre 2 et 10% des inscrits selon les professions, et cela alors que les listes électorales étaient très loin d’inscrire l’ensemble des salariés concernés ’ il était pratiquement convenu qu’on adopterait un système de désignation, comme pour les conseils d’administration des caisses d’assurances sociales et d’allocations familiales.


La CFDT et la CGT étaient contre.


Mais voici qu’intervinrent les élections législatives de mars 1978. Sous des modes différents, les deux centrales alors révolutionnaires s’étaient engagées à fond en faveur du « programme commun de la gauche ». La gauche unie échoua cette fois-là encore, et les dirigeants de la CFDT furent profondément ébranlés par cet échec. Alors commença le revirement de la confédération, laquelle, progressivement, revint à des positions analogues ’ compte-tenu de l’évolution générale des idées et des problèmes ’ à celles qu’elle avait quand elle était encore la CFTC.


Le gouvernement (le ministre du travail étant Robert Boulin) décida d’encourager ce début d’évolution qui pouvait affaiblir le bloc révolutionnaire, renforcer le camp des réformistes. On voulut montrer à la CFDT que si elle persévérait dans cette voie nouvelle, elle pourrait obtenir beaucoup plus que par les mouvements de masse et la collaboration avec les partis de gauche et, pour cela, on décida brusquement de conserver, en l’élargissant, le système de mise en place des conseillers prud’hommes par voie d’élection.


Autrement dit, le gouvernement abandonnait Force Ouvrière en tant qu’interlocuteur privilégié au profit de la CFDT, le ministre du Travail étant allé jusqu’à dire, non sans une certaine acrimonie, qu’il n’était pas comptable des intérêts de Force Ouvrière.


La conception générale, ou presque, était que les listes FO n’atteindraient pas dans l’ensemble 10% des suffrages. Or, certains publicistes, proches de la CFDT, demandaient alors que l’on rétirât le privilège de la représentativité aux organisations syndicales qui n’obtiendraient pas 10% des suffrages aux diverses élections sociales.


La surprise fut quasi-universelle, y compris au bureau de la CGT-FO : le 12 décembre 1979 ’ date des premières élections prud’homales selon le nouveau système - FO obtint dans l’ensemble des collèges 17,33% des suffrages.


Les ennemis du syndicalisme de contrat remisèrent donc, pour un temps, leur réclamation de fonder la représentativité syndicale sur la base d’une consultation électorale.


Mais, on le voit aujourd’hui, ce n’était que partie remise.


Avant 1979, et ceci depuis de très longues années, depuis le Second Empire au moins, les conseillers prud’hommes étaient des élus, mais les élections offraient tant de difficultés aux électeurs que, très tôt, malgré le prestige de l’institution, les électeurs boudèrent les urnes. On votait le dimanche. Les électeurs devaient eux-mêmes vérifier q’ils avaient été inscrits sur les listes. L’élection se faisait au scrutin de liste majoritaire, ce qui ne laissait pas beaucoup de chance aux candidats indépendants ou se réclamant d’organisations minoritaires.


D’où le résultat déjà évoqué plus haut : les bureaux de vote étaient déserts.


- Les élections de 1979 -


La loi du 18 janvier 1979 déroula le tapis rouge devant les électeurs : ils étaient inscrits sur les listes électorales par leurs employeurs ; le vote se ferait un jour ouvrable ; les électeurs seraient autorisés à quitter l’entreprise pour aller voter, ce temps de vote leur étant payé. L’élection se ferait au scrutin proportionnel, ce qui donnait à tout le monde sa chance. Enfin l’élection aurait lieu à une date unique pour l’ensemble des conseils sur l’ensemble du territoire, afin de créer autour d’elle un peu de la fièvre des élections législatives et présidentielles, bref d’en faire dans une certaine mesure des élections politiques, afin d’accroître la motivation des électeurs.


Ces trucs, tout d’abord, ont semblé réussir. 63% de votants, 60% de suffrages exprimés le 19 décembre 1979. On n’avait jamais vu cela. Sans doute était-on encore assez loin du taux de participation aux élections législatives générales, mais le résultat était déjà impressionnant, et ce n’était que la première fois. Aux prochaines élections, le score serait meilleur encore.


Ainsi aurait-on prouvé que le grand principe fondamental de la démocratie politique pouvait s’appliquer aussi dans le monde social.


Hélas ! Les élections prud’homales se sont succédées, et si elles se sont ressemblées, c’est d’abord parce que, de l’une à l’autre, le taux de participation n’a pas cessé de décroître.


63% de votants en 1979, 58% en 1982, 45% en 1987, 40% en 1992, 34% en 1997.


Que la courbe s’abaisse encore le 11 décembre 2002 ou qu’elle se relève un peu, la démonstration est faite : les électeurs sociaux, si l’on peut ainsi parler, ne montrent pas beaucoup de zèle à exercer leurs droits civiques, et il est fort à parier que si l’on revenait à l’ancien système, ne serait-ce qu’en faisant voter hors des heures de travail, le dimanche, les taux de participation descendraient encore plus bas.


La consultation électorale ’ qui, d’ailleurs, a eu bien du mal à s’implanter dans le domaine politique ’ n’appartient pas au domaine syndical et social et elle ne s’y est pas vraiment enracinée, sauf là où l’élection demeure à dimension humaine, où l’électeur connaît les candidats, dans l’entreprise.


Même dans ce cadre là d’ailleurs la participation, tout en restant honorable ’ les deux tiers environ des inscrits, pour les comités d’entreprise ’ restent assez loin de ce que l’on connaît en matière politique.


Bref, la démocratie syndicale n’est pas la démocratie politique, les confédérations ne sont pas des partis, et il y a lieu de craindre que, si l’on demandait aux « citoyens sociaux » d’exprimer par un vote organisé le même jour par tout le pays, même dans le cadre des professions, on atteindrait un taux de participation qui n’offrirait qu’une base chancelante et précaire à la représentativité des organisations syndicales.


Car, en dépit des emprunts à la démocratie politique qu’a fait la démocratie syndicale (ou qu’on lui a imposés), celle-ci ne sera jamais pareille à celle-là. Car dans l’une (la démocratie politique) chaque individu compte pour un, tandis que dans l’autre (la démocratie syndicale) c’est le groupe qui compte pour un et quel que soit le nombre de ses membres.


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