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Photo du rédacteurPhilippe Darantière

Les acteurs de la société civile dans la campagne

C'était il y a cinq ans. L'Alliance pour la planète, une coalition des plus grandes ONG écologistes avait été créée à l'occasion de la campagne présidentielle de 2007. Dix candidats à l'élection présidentielle avaient été notés selon leur degré d'engagement sur les questions environnementales. Les principaux d'entre eux avaient signé le Pacte écologique de Nicolas Hulot, soutenu par une pétition de 700.000 électeurs. En 2012, les ONG sont quasi absentes de la campagne, les thèmes environnementaux ne sont guère audibles, hormis le nucléaire, et l'horizon économique, social et environnemental paraît plus gris que vert.


Après avoir observé les positions des syndicats dans la campagne présidentielle, passons en revue celles des ONG et autres acteurs de la société civile (cfLes syndicats dans la campagne, du 28 février 2012).

- Le Grenelle de l’environnement : quelle suite ? -

La Président de la République élu en 2007 a tenu l’une de ses grandes promesses électorales : il a convoqué, comme il l’avait dit, un Grenelle de l’environnement qui a innové à la fois dans son mode de gouvernance et dans ses débouchés immédiats. Mille cinq cent participants ont travaillé de juillet à octobre 2007 sur six thèmes transversaux : lutter contre les changements climatiques et pour la maîtrise des énergies, préserver la biodiversité, instaurer un environnement respectueux de la santé, adopter des modes de production et de consommation durables, construire une démocratie écologique et promouvoir un développement écologique favorable à l’emploi. Un débat au Parlement en octobre 2007 déboucha sur 268 engagements ; 34 chantiers opérationnels furent élaborés de janvier à avril 2008. Enfin, une première loi de 57 articles fut promulguée le 3 août 2009, une seconde de 257 articles applicatifs en 2010, plus de 1000 textes réglementaires et près de 200 décrets d’application furent publiés.



Mais le Grenelle de l’environnement fut aussi porteur d’ambiguïtés et de faux-semblants, d’où la morosité actuelle des partisans du développement durable. La « démocratie écologique » que le Grenelle était chargé de promouvoir fut la source du premier malentendu : la sélection des ONG de défense de l’environnement invitées à y participer ne fut fondée sur aucun critère de représentativité, alors que, quelques mois plus tard, le gouvernement imposait aux partenaires sociaux d’engager une réforme de la représentativité syndicale. Le modèle de « gouvernance à cinq » du Grenelle, qui associait l’Etat, les collectivités territoriales, le patronat, les syndicats et les associations de défense de l’environnement n’a pas eu de pérennité. Cela s’est traduit, lors de la phase de mise en œuvre, par des rivalités entre les collectivités et les services de l’Etat sur l’ordre de préséance des décisions politiques. De leur côté, les syndicats et les associations écologistes ont développé des liens de trois ans pour assurer un suivi « citoyen » du Grenelle.

- Syndicats et ONG en ordre dispersé -

Et puis la crise financière et économique est arrivée. Les syndicats se sont regroupés dans une longue action intersyndicale pour tenter de peser sur les choix économiques et sociaux de cette période de crise, notamment au sujet de la réforme des retraites. De leur côté, les ONG se mobilisèrent à l’occasion du sommet de Copenhague de 2009 sur le réchauffement climatique pour tenter d’emmener avec elles les citoyens faire pression sur les gouvernements en faveur d’une décision ambitieuse et chiffrée de réduction des gaz à effets de serre.


Dans les deux cas, le résultat fut maigre. Pis, ce découplage des enjeux sociaux et environnementaux sur fond de crise économique sonna le glas du mythe d’une performance économique, sociale et environnementale qui constitue le credo du développement durable. La suite est connue. En France, la mobilisation sociale n’a pas eu raison de la décision politique du gouvernement de reculer l’âge de la retraite. L’échec d’une opposition rassemblant plus de trois millions de personnes dans les rues restera comme un traumatisme dans l’imaginaire syndical, où la lutte et le rapport de force doivent permettre, in fine, d’imposer les choix économiques et sociaux. En Europe, la crise financière et économique a rebondi en 2011 en faisant voler en éclat la dette souveraine des Etats. Enfin, le « printemps arabe » et l’automne des « indignés » ont achevé le « désenchantement du monde », selon l’expression de Max Weber. C’est donc en ordre dispersé qu’ONG et syndicats s’invitent aujourd’hui dans la campagne présidentielle.

- L’ « Appel des 3000 » -

Le 28 janvier 2012, six candidats ont défilé à la tribune du congrès annuel de la fondation France Nature Environnement (FNE), qui souhaitait les entendre réagir à son « Appel des 3000 ». Ce texte d’une quinzaine de pages est, selon la FNE, une boîte à outils où les candidats sont invités à piocher des idées pour alimenter leur programme écologique.



On y trouve des recommandations en faveur d’un « dialogue environnemental » appelé à se juxtaposer au dialogue social existant, avec la création d’un système paritaire de protection environnementale composé selon le modèle de la « gouvernance à cinq » du Grenelle, et chargé de gérer cinq éco-caisses d’intervention écologique financées par des taxes existantes ou à créer : climat-énergie, biodiversité, risques industriels, matières premières, climat-biens manufacturés. De nombreuses autres mesures concernent le rôle de l’Etat, avec la création d’un super-ministère, ayant rang de deuxième ministère, chargé de ces questions, ou l’impulsion d’une politique intergouvernementale en faveur de l’environnement. L’agriculture est également dans la ligne de mire, de même que la transition énergétique vers les énergies vertes. Cette question de l’énergie figure aussi au programme du Réseau-Action-Climat, qui a rendu public ses « 7 mesures clés pour engager la France dans la transition énergétique ».

- Le CCFD analyse les programmes des candidats -

Le thème de la gouvernance économique et sociale figure par ailleurs dans les ambitions de deux autres organisations. La première, le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD), a entrepris une lecture des programmes des candidats à l’aune des principes de la régulation internationale : droits de l’homme, protection de l’environnement, solidarité Nord-Sud ou lutte contre la corruption et les paradis fiscaux. Selon cette ONG, la question de la responsabilité sociale des entreprises ne figure sérieusement dans aucun programme. Les candidats font certes le constat d’une absence de régulation de la mondialisation, mais aucun ne propose une action crédible pour y parvenir. Les projets de la gauche en faveur d’une « relocalisation » des industries sont jugés très imprécis par le CCFD, la promotion du « made in France » servant de défense fictive, dans la mesure où la chaine de production des multinationales est aujourd’hui répartie sur différents pays, y compris dans le cas des industries françaises.



Autre sujet, la proposition d’une « notation sociale des entreprises » obligeant les sociétés de plus de 500 salariés à faire certifier annuellement la gestion de leur ressources humaines au regard de critères de qualité de l’emploi et de conditions de travail semble au CCFD bien trop « franco-française » pour être opposable aux multinationales qui investissent en France. Cette mesure serait au pire dissuasive pour les investisseurs, et, selon l’ONG, ne ferait que renforcer les syndicats, qui disposent déjà de droits d’intervention sur la politique de ressources humaines de l’entreprise, en oubliant les « parties prenantes silencieuses » que sont les riverains et les collectivités, potentiellement exposés aux nuisances, mais sans moyen d’installer un « dialogue sociétal » avec l’entreprise.

- « 12 propositions pour une économie démocratique » -

L’autre acteur de la société civile à s’exprimer est le représentant des employeurs de 2,3 millions de salariés, soit près de 10% de l’emploi en France : le Conseil des entreprises, employeurs et groupements de l’économie sociale (CEGES). L’hypothèse finalement écartée d’une SCOP pour reprendre Sea-France, lors de la faillite de ce transporteur maritime, a rappelé aux observateurs de la vie économique et sociale que 100.000 emplois sont créés chaque année par l’économie sociale et solidaire (ESS), dont l’activité est par ailleurs administrée par plusieurs millions de bénévoles ou de sociétaires. Des mutuelles aux coopératives, en passant par les associations, l’économie sociale et solidaire est un important contributeur au PIB, bien que non comptabilisé dans les comptes de la nation. Il s’agit, pour le CEGES, de remédier à cette situation en diffusant auprès des candidats ses « 12 propositions pour une économie démocratique ». Un colloque organisé le 2 mars dernier à l’Assemblée Nationale a permis à ses membres d’écouter les projets de cinq candidats à la présidentielle ou leurs représentants. L’actuelle équipe gouvernementale a déjà dédié 100 millions d’euros à l’innovation économique sociale et solidaire dans le cadre du grand emprunt et un fond d’innovation doté de 5 millions d’euros a été mis en place. Certains candidats n’ont pas manqué de souligner le rôle que l’ESS pourrait jouer comme alternative au capitalisme financier. D’autres ont promis de lui consacrer un ministère de plein exercice. Aucun ne s’est toutefois engagé à donner au CEGES la place qu’il réclame dans le paritarisme et au sein du mouvement patronal, où la représentation des employeurs est partagée à ce jour entre le MEDEF, la CGPME, les professions artisanales et les professions libérales...


Au bilan, il apparaît que le monde « sociétal » reste plutôt en retrait de la campagne électorale. Etant sans doute moins aguerri que le monde syndical, il peine encore à se faire entendre du monde politique.





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