Une étude de la Confédération européenne des syndicats (CES) donne des indications utiles sur la place des femmes dans les appareils syndicaux. Le « plafond de verre » est toujours présent.
Depuis vingt ans, la Confédération européenne des syndicats (CES) réalise plusieurs enquêtes pour évaluer la place des femmes en son sein et au sein des organisations qui la composent.
Une première série d’enquêtes, dites du « 8 mars », que la CES publie annuellement, et symboliquement, à l’occasion de la « journée des femmes », mesure la progression des femmes dans les directions syndicales des différents pays européens (comme il peut exister par ailleurs des enquêtes sur les femmes au sein des conseils d’administration des entreprises). Les enquêtes de ce type ont été réalisées depuis 1994, la dernière date de 2012. On s’étonnera d’abord de taux de réponse assez faibles de la part des diverses organisations concernées. En effet, si la CES regroupe 85 confédérations nationales, seules 21 d’entre elles ont répondu à la première enquête, en 2002, et plus du quart échappent toujours à l’enquête de 2012.

On observera ensuite que les femmes gagnent apparemment en responsabilités au sein des états-majors syndicaux. Précisément 11 confédérations ont, en 2012, une secrétaire générale à leur tête (poste le plus souvent le plus politique). En 2002, elles étaient 2 sur 21 confédérations. Mais, en 2012, il ne s’agit bien que d’une dizaine d’organisations sur 59 qui ont participé à l’enquête... et on peut sans doute ajouter sur 85, car il est probable que les confédérations qui se dispensent de répondre ne sont pas dirigées par une femme.
Le nombre de femmes s’est davantage accru dans les fonctions de vice-présidence (25 sur 59 en 2012), soit des rôles certes non négligeables mais de second plan, voire créés pour la circonstance de ces enquêtes et apporter une réponse un peu artificielle au problème posé.
La féminisation des directions syndicales - au plus haut niveau - ne progresse donc que lentement. Or, dans le cas français, une syndicaliste telle Chantal Rogerat, ancienne rédactrice en chef du magazine Antoinette de la CGT, a pu souligner, pour la période des années 1970 et 1980, l’importance de l’apport des femmes à l’activité syndicale, permettant de débloquer certaines situations, élargissant le champ de l’action revendicative, dépassant le « modèle dominant... du travailleur militant », mettant en cause certaines tactiques lors des conflits sociaux, bouleversant « la conception des rapports de pouvoir dans le syndicalisme lui-même » (extrait du livre collectif de Margaret Maruani, Femmes, genre et sociétés, La découverte, 2005).
Plus d’une vingtaine d’années plus tard, en dépit des intentions affichées, la direction de la CES n’aurait-elle pas pris la mesure de toutes ces dimensions ? De fait, elle ne réalise que des enquêtes assez sommaires sur la féminisation des directions de ses organisations. Mais, en termes tactiques, il s’agit peut-être d’abord de susciter une prise de conscience de la part de celles-ci, d’enclencher un déclic favorisant une évolution positive en faveur de l’égalité. Cependant les changements apparaissent assez lents et une égalité réelle ne pourra se concrétiser avant longtemps.
La CES a publié aussi, à l’occasion de son congrès d’Athènes (en 2011), une enquête sur les délégués à ses congrès depuis les années 1990 (voir le graphique ci-dessous). Celle-ci traduit une progression du nombre des déléguées féminines, surtout à compter du congrès de Séville (en 2007), qui a ouvert une nouvelle approche et un nouveau volontarisme pour la lutte contre les inégalités de genre et, en l’occurrence, une meilleure représentation des femmes au sein du congrès, organe souverain de la CES. Cependant, la proportion de ces déléguées féminines reste inférieure à 40 % alors que celle des femmes syndiquées, et plus encore, celle des femmes qui travaillent sont supérieures (environ 45 %). Là aussi, un « plafond de verre » se maintient donc : un écran invisible interdit la réalisation de l’égalité entre hommes et femmes. Mais celle-ci semble toutefois un objectif raisonnable à court ou moyen terme.

La proportion de femmes déléguées lors des congrès de la CES
(en nombre, soit de 24 à 39 % des délégués)
Au moyen de ces différentes études, la CES a cherché aussi à comprendre pourquoi la syndicalisation féminine demeurait inférieure à celle des hommes. L’une de ces études - déjà datée de 2003 - souligne que, contrairement aux idées reçues, cette sous-représentation numérique des femmes dans les effectifs syndicaux ne s’inscrit pas « dans le prolongement d’une attitude de retrait professionnel » ou ne traduit pas non plus une forme de désintérêt pour le syndicalisme. Elle« paraît davantage la conséquence d’un ensemble de conditions sociales qui s’avèrent plus contraignantes pour les femmes que pour les hommes ». Et de mettre en avant :
« les contraintes liées à la vie familiale et aux échanges qui s’opèrent au sein du couple » ;
« le fonctionnement de la structure syndicale », sous entendant que celui-ci serait avant tout une affaire d’hommes.
Sur ce dernier aspect, qui renvoie à l’exercice de responsabilités syndicales, la CES cherche à apparaître exemplaire depuis 2011. En effet, elle a porté à sa tête une Française, Bernadette Ségol, une syndicaliste au parcours atypique, d’origine toulousaine, issue d’aucun syndicat hexagonal mais impliquée de longue date, comme permanente, dans les rouages du syndicalisme européen.

Bernadette Ségol
En 2011, Bernadette Ségol est devenue également vice-présidente du Mouvement européen international (ou Citizens for Europe), issu du célèbre congrès fédéraliste européen de La Haye (1948).
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