Les ONG (Organisations Non Gouvernementales) s'intéressaient naguère à l'action des gouvernements de la planète. Elles deviennent aujourd'hui des interlocuteurs directs des entreprises. Pourquoi cette évolution ? En quoi les sujets sociaux et sociétaux émergents (développement durable, responsabilité sociale des entreprises, éthique, etc.) se traduisent, pour les ONG, en revendications qui concernent les entreprises ?
La relation ONG/entreprises s’inscrit dans un contexte historique où le rôle des acteurs tant publics que privés, évolue avec la gouvernance mondiale. Le renforcement du rôle des acteurs non gouvernementaux s’explique par une défaillance du rôle des pouvoirs publics. Et pourtant, le terme d’Organisation Non Gouvernementale (ONG) a été défini pour la première fois en 1946 afin de donner un droit de consultation dans l’enceinte des Nations Unies aux organisations qui ne relevaient pas d’un gouvernement. Les revendications de ces organisations concernaient alors essentiellement la défense des droits civils et politiques.
En France, les définitions d’ONG et d’association se recoupent largement au travers des critères suivants : une origine privée, un but non lucratif, l’indépendance financière, l’indépendance politique et la notion d’intérêt public. Le fait de mener des actions à l’international constitue le critère de différenciation le plus communément utilisé pour distinguer ces acteurs, les associations ayant le plus souvent un mandat limité aux frontières nationales. Mais dans une conception anglo-saxonne, la notion d’ONG réuni des acteurs plus hétérogènes, tels que des groupements politiques ou religieux, les syndicats professionnels salariés et patronaux, les mutuelles...
- Le glissement des années 1980 et 1990 -
Au cours des années 80, un glissement s’opère vers la défense des droits économiques et sociaux faisant apparaitre l’idée de droits collectifs. Si les États ont été jusqu’alors les principales cibles de ces ONG, le secteur privé et son développement international exponentiel va également devenir l’objet d’une attention croissante. Certaines organisations internationales élargissent leur mandat à la défense de ces droits. Ainsi, Amnesty International a officialisé cette orientation lors de son Congrès International qui s’est tenu au Portugal en 1999. La création d’une « Commission entreprises » dédiée à l’étude des impacts de l’activité du secteur privé sur les droits humains coïncide avec ce changement.« Ce sont en premier lieu les États qui doivent garantir à leur population la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels. Mais de plus en plus, les multinationales jouent un rôle très important dans le respect des droits humains. Amnesty International milite pour l’élaboration de codes de conduite qui définissent les devoirs des entreprises en matière de droits humains »(http://www.amnesty.ch/fr/themes/eco...).
Porte-parole des parties prenantes de l’entreprise - Ce constat trouve une illustration au niveau micro-économique dans la théorie des parties prenantes (stakeholders). Celle-ci place l’entreprise au coeur d’un système de relations avec des acteurs dont les intérêts sont liés à ceux des entreprises. « Elle présente l’entreprise comme une « constellation d’intérêts coopératifs ou concurrents » (Michel CAPRON,L’économie éthique et privée : La responsabilité des entreprises à l’épreuve de l’humanisation de la mondialisation. UNESCO. 2003). Une approche traditionnelle de cette théorie présente les acteurs inscrits dans une relation directe avec l’entreprise, comme les syndicats, les actionnaires ou encore des fournisseurs. La mondialisation du marché a entrainé le retrait progressif des organes publics de régulation et de normalisation de l’activité économique. A travers la notion de responsabilité sociale des entreprises (RSE) apparaît l’idée qu’un comportement éthique contribuerait à réguler la logique du marché, par l’introduction d’obligations volontaires sociales et environnementales. L’élargissement du cercle des parties prenantes aux ONG répond à ce besoin de réintroduire l’éthique dans les activités de l’entreprise ayant un impact négatif sur le bien commun. Elles apparaissent comme les porte-parole des différentes parties prenantes de l’entreprise.
- Des revendications grand public -
Par ailleurs, le concept de développement durable a entraîné l’identification de maux communs à tous les habitants de la planète et ainsi favorisé le rapprochement du Nord et du Sud. Fortes de leur notoriété acquise sur la scène internationale, les ONG occidentales cherchent à mobiliser l’opinion publique par le biais d’actions de plus en plus médiatisées. Leurs revendications rejoignent sensiblement les questions de société qui préoccupent le grand public : solidarité versus précarité, OGM, consommation (qualité et tracabilité des produits), éthique financière... A une frange de la population qui s’affirme comme consommateur-citoyen, les ONG répondent sous deux formes. Tout d’abord en tant que relais d’information pour favoriser l’éducation du consommateur sur les procédés de fabrication des produits. Puis, en lui proposant des alternatives : des produits mais également du comportement d’achat
- Des méthodes de professionnels -
Une troisième explication peut être apportée au regard de l’évolution du milieu associatif et humanitaire, dont le fonctionnement traditionnel semble de plus en plus inadapté aux enjeux contemporains. Le milieu associatif français a ainsi engagé depuis quelques années une réflexion importante sur son mode de fonctionnement avec des sujets comme la professionnalisation du recrutement, l’utilisation des techniques de marketing ou encore l’évaluation qualitative des projets. Autant de méthodes jusqu’alors réservées aux acteurs du secteur marchand. Ce glissement vers des pratiques dites professionnelles a contribué à rapprocher les entreprises des ONG. Ces dernières, longtemps targuées d’amateurisme, y ont gagné en crédibilité et en puissance pour faire passer leurs messages.La collaboration Carrefour/FIDH a contribué à la rédaction d’une charte fournisseur et à la mise en place d’une structure indépendante de contrôle qui a pris la forme d’une association (INFANS). Aujourd’hui, des groupes comme Lafarge bénéficie de l’accompagnement conseil du WWF.
- Un renforcement des relations -
De plus, face à l’essoufflement des financements traditionnels, les ONG s’inscrivent dans une logique de diversification des sources, en particulier auprès des entreprises qui possèdent (en partie) les moyens financiers et matériels du changement. Les intérêts des unes (l’aspect financier) et les intérêts des uns (l’image) permettent un rapprochement sur la base de référents communs. Ainsi, l’ONG Action contre la Faim a développé plusieurs types de partenariats avec des entreprises comme la création de produits partage avec l’entreprise JVC ou les boulangeries Paul. Egalement la création de produits financiers solidaires en partenariat avec la Société Générale. La base de donnéesWHO’S WHO ONGa été constitué pour faciliter les partenariats entreprises/ONG (http://www.wwo.fr).
On voit donc dans le rapprochement ONG/entreprises des causes essentiellement structurelles et l’on peut raisonnablement imaginer un renforcement de leur relation. Longtemps, considérées comme des acteurs à part, ces organisations bénéficient aujourd’hui d’une audience de plus en plus favorable auprès du grand public et du secteur privé.
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