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  • Photo du rédacteurDominique Andolfatto

Les permanents syndicaux

Personnels mis à disposition, décharges de service pour activités syndicales, permanents syndicaux, élus et mandatés syndicaux fournissent une part très importante des moyens de l’action syndicale en France.

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Dans le secteur marchand et associatif, près de 600 000 salariés (soit 3 % des salariés dans ce secteur) disposent d’au moins un mandat représentatif. Environ la moitié d’entre eux sont syndiqués et près de 80 000 sont des délégués syndicaux. Selon nos estimations, il faut y ajouter encore environ 100 000 élus à des commissions paritaires dans les trois fonctions publiques. Soit au total environ 700 000 élus et mandatés. Au milieu des années 1980, ce total avait été estimé à près d’un million (Adam et Landier, 1986).


Dans le secteur marchand ou associatif, ces élus disposent d’au moins 20 heures par mois de délégation, mais ce contingent est souvent augmenté par les accords d’entreprise au titre des « droits syndicaux ». La majorité d’entre eux cumulent au moins deux mandats (en majorité : élu CSE et DS). La plus grande partie de ce temps de délégation est normalement utilisée dans l’entreprise, mais elle est aussi une ressource pour les syndicats, en particulier parce que l’audience électorale de ces élus détermine la représentativité des organisations et conditionne l’essentiel de leurs ressources financières et humaines. Ces moyens en ressources humaines comptent aussi pour les actions visant la syndicalisation, la participation à des instances fédérales ou locales, la formation syndicale (les intéressés bénéficient alors d’autorisations d’absence qui s’ajoutent au temps de délégation).


Les audiences aux élections professionnelles permettent également aux syndicats d’obtenir des personnels « mis à disposition » à temps partiel ou total. Ces « permanents » se consacrent au syndicat, partiellement ou totalement, tout en continuant à percevoir leur traitement ou leur salaire et tout en bénéficiant d’une promotion au moins égale à celle de la moyenne de leurs collègues de même grade ou de même qualification.

- Crédits d’heures, mises à disposition -


Les administrations et les grandes entreprises accordent aux syndicats ces mises à disposition en fonction des résultats électoraux et des effectifs employés. Pour les administrations, les règles affichées semblent assez strictes. D’une part, les autorisations d’absence ne peuvent dépasser 20 jours par an. D’autre part, les décharges de service sont accordées, par service, en fonction du nombre de sièges et de voix obtenus aux élections des commissions paritaires de la fonction publique sur la base d’un équivalent temps plein (ETP) par tranche de 230 agents (avec une dégressivité pour les plus gros corps). L’application stricte de cette règle aboutirait à des décharges d’environ 7 400 ETP dans la fonction publique d’État et un peu plus dans la territoriale et les hôpitaux, soit au total environ 15 000 ETP.


En fait, ces règles sont appliquées avec plus ou moins de rigueur et l’on s’écarte souvent des contingents légaux dans un sens plus favorable aux syndicats comme l’avait montré une enquête réalisée en 2010 dans les principales administrations de deux départements de province (Desforges et al., 2010).


Le maximum serait atteint chez les policiers. D’après la Cour des comptes, en 1997, sur un effectif de 130 000 policiers, les décharges pour activités syndicales représentaient 1 600 ETP, soit 1,2 % du personnel. Toutefois ces chiffres ont toujours été minimisés par le ministère. Par exemple, dans le Journal officiel du 24 mars 2015, le ministre de l’Intérieur, répondant à une question écrite d’un député, affirmait qu’il y avait, pour la police, 110 décharges d’activité à temps plein en 2014 mais ne donnait pas de détail pour les temps partiels ni les autorisations d’absence.


La proportion serait à peine moindre au sein de la société La Poste et chez Orange (ex‑France Télécom) : au total pour les deux entités, décharges et autorisations d’absence équivaudraient à plus de 3 000 ETP. Au ministère de l’Éducation nationale, cela équivaudrait à près de 4 000 ETP au lieu des 2 100 que donnerait l’application stricte de la règle énoncée ci‑dessus.


Les grandes entreprises publiques se trouveraient dans une situation semblable. À la SNCF, il y avait, jusqu’en 2018, 1 903 ETP et 174 mis à disposition des fédérations (ou confédérations) qui continuaient à être rémunérés par leur entreprise (Cour des comptes, 2019). Le même système existerait chez EDF, Air France, Aéroports de Paris, à la RATP… Cependant, les ordonnances Macron‑Pénicaud de 2017 remettent largement en cause cette situation dans ces grandes entreprises publiques. En fusionnant toutes les instances de représentation du personnel, elles aboutissent à réduire les contingents d’heures allouées aux représentants du personnel. Ainsi, la SNCF serait passée de 9 500 élus avant la réforme à 1 638 après, le contingent d’heures étant réduit dans les mêmes proportions, essentiellement aux dépens des fonctions de DP et CHS‑CT qui étaient les plus utiles pour les salariés…


En revanche, ces réductions ne semblent pas avoir affecté les mises à disposition négociées entre les organisations syndicales et la direction.


La plupart des collectivités locales et des hôpitaux seraient également généreux en crédits d’heures et mises à disposition. Enfin, les organismes de sécurité sociale mettent à disposition des organisations syndicales et patronales présentes à leurs conseils d’administration de nombreux « conseillers techniques » censés les assister dans leur fonction de « gestionnaires » des caisses.

- Permanents de l’organisation -


Au total, les décharges partielles ou totales dont disposent les syndicalistes au titre des lois et des accords passés dans les administrations, les organismes de sécurité sociale et les grandes entreprises nationales peuvent être estimés entre 30 000 et 40 000 ETP. Si la majorité de ces syndicalistes ont bien une activité syndicale principalement axée sur le lieu de travail – mais impossible à évaluer – une partie de leur temps est également consacrée au syndicat. En particulier, un nombre important, mais impossible à préciser, de personnes mises à disposition se retrouvent au sein des unions départementales et des fédérations dont elles assurent le fonctionnement. À la CGT et à la CFDT, elles représentent la majorité des permanents des fédérations correspondantes et des unions régionales et départementales. Elles fournissent également la majorité des dirigeants à ces échelons.


En définitive, si l’on pouvait réintégrer dans le budget des syndicats toutes ces aides – et en premier lieu les salaires des mis à disposition –, on se rendrait compte que les cotisations représentent une part très faible des ressources totales que le rapport Perruchot (2011) avait estimées à 4 milliards d’euros, cherchant à évaluer toute l’économie du syndicalisme (les organisations elles‑mêmes mais aussi le coût des institutions du dialogue social).



Anatomie du syndicalisme, Dominique Andolfatto et Dominique Labbé,

Presses universitaires de Grenoble, 2021, 20,00€

- Le métier de militant -


Le métier de militant, publié en 1973, est un ouvrage pionnier de sociologie sur l’engagement syndical. Près de cinquante années après, il reste un ouvrage de référence, dont la lecture permet toujours aujourd’hui de comprendre les motivations et les cheminements de l’engagement syndical.


L’auteur distingue trois types de militants : le tribun, le doctrinaire et l’administratif.


Daniel Mothé (Jacques Gautrat de son vrai nom) a eu lui-même un passé militant affirmé. Né en 1924, ouvrier dès l’âge de 15 ans, militant trotskyste à 18 ans, il fut ouvrier fraiseur P2 à la régie Renault. Militant Force ouvrière puis CFDT, il quitta la régie Renault en 1971, après 21 ans d’activité professionnelle, pour devenir sociologue à temps plein.


Quoique abordant finalement peu le cas précis du permanent syndical, qu’il observe au milieu de l’ensemble des militants (qu’ils soient ou pas permanents), Daniel Mothé éclaire utilement notre approche des relations du militant avec ses collègues de travail ainsi que la question du pouvoir syndical.



Le métier de militant. Daniel Mothé, Le Seuil, 1973, 192 pages

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