Au Canada, le syndicalisme est très présent : 38% des salariés sont syndiqués à l'une des 4 organisations. Dans les entreprises, une seule organisation a droit de cité. Le système de l'accréditation permet le monopole syndical et la cotisation obligatoire.
Selon Statistique Canada, 4,6 millions de travailleurs étaient syndiqués au Canada en 2009, soit 30% de la population active (et un peu plus par rapport au salariat, soit 38% ou 39% au seul Québec). Comme dans les pays européens, la syndicalisation n’existe pratiquement pas dans les petites entreprises. La syndicalisation tend aujourd’hui à plafonner voire à reculer en raison - expliquent les analystes canadiens - de la tertiarisation de l’économie, du développement de l’emploi à temps partiel (qui rend plus difficile la « rencontre » entre salariés et syndicats), de la remise en cause de certains avantages acquis et de relations avec les employeurs plus tendues, d’une opinion publique plutôt critique à l’égard des syndicats [1]. Des employeurs ne manquent pas de s’opposer à de nouvelles implantations syndicales. Wal-Mart, la célèbre chaîne de distribution américaine, a même décidé de fermer une de ses succursales canadiennes parce qu’un syndicat avait cherché à s’implanter. Cependant, cette attitude est loin d’être généralisée compte tenu d’un droit syndical - et d’une protection des syndicats - difficilement contournables, singulièrement au Québec.
Un paysage syndical apparemment éclaté
Les syndicats - avant tout locaux - au Canada s’affilient à des centrales. Quatre centrales, aux forces et à l’identité très différentes, comptent au Canada :
le Congrès du travail canadien (CTC) domine largement le paysage syndical avec 3,3 millions d’adhérents. Au Québec, la CTC (organisation qui couvre tout le Canada) est représentée par la FTQ : Fédération des travailleurs du Québec. Le CTC a également quelques syndicats au Québec qui ne sont pas adhérents du FTQ (le double clivage anglophones / francophones et souverainiste / fédéraliste l’explique). Le CTC (et la FTQ) sont davantage tournés vers le secteur privé que le CSN (présentée ci-dessous). Il s’agit d’organisations proches des syndicats américains (ces derniers étant surtout implantés dans le Nord-Est des Etats-Unis et en Californie). Ainsi, au Canada, on présente la CTC comme un syndicat « international » (lié au mouvement syndical américain et, plus largement, international) par contraste avec la CSN.
Le siège du syndicat des métallos FTQ, à Montréal.
la Confédération des syndicats nationaux (CSN) compte 300 000 adhérents. L’organisation est relativement centralisée alors que la CTC privilégie le syndicalisme de branche. La CSN est une organisation uniquement québécoise et majoritairement francophone (mais elle est largement devancée par la FTQ - émanation de la CTC - au Québec). La CSN est d’origine catholique mais s’est émancipée de l’Eglise, notamment au moment de ce qu’on appelle au Québec la « révolution tranquille » qui a marqué les années 1960. A compter des années 1970, l’organisation a évolué à gauche et a soutenu l’indépendance du Québec. Mais, aujourd’hui, il s’agit d’un « syndicat d’affaires » comme on dit au Canada (l’expression peut d’ailleurs s’appliquer aux autres organisations). Soit un syndicalisme relativement intégré au système économique et pratiquant d’abord la négociation. Il ne peut d’ailleurs en être autrement au Canada compte tenu d’un encadrement très strict de la grève. Celle-ci ne peut être déclenchée qu’en cas d’échec de la négociation ou renégociation des conventions collectives et après un vote majoritaire, à bulletin secret, organisé par les syndicats.
la Centrale des syndicats du Québec compte 110 000 adhérents. Il s’agit principalement de syndicats d’enseignants. Longtemps, on a d’ailleurs parlé de la CEQ (Centrale de l’enseignement du Québec). En 2000, elle a changé son sigle pour tenter de s’élargir aux personnels de la santé et, plus largement, de la fonction publique.
la Centrale des syndicats démocratiques (CSD) compte 70 000 adhérents. La CSD est issue d’une scission de la CSN. La CSD dénonçait l’excès de centralisation de la CSN et souhaitait rester davantage fidèle au catholicisme social. Les adhérents de la CSD sont surtout des cols bleus dans l’industrie, dans les petites villes et des branches d’activités relativement faibles ou affaiblies (on parle ici de « secteur mou ») : textile, habillement, chaussure. Il existe enfin des organisations plus faibles, des syndicats nationaux non affiliés à une centrale, des syndicats indépendants, représentant environ 830 000 adhérents dans tout l’espace canadien.
Le système de l’accréditation syndicale
Le mode de reconnaissance des syndicats au Canada est très différent de celui qu’on connaît en France. La question de la « représentativité syndicale », à l’origine de tant de débats et de préoccupations entre partenaires sociaux en France - surtout après la nouvelle loi de 2008 sur le sujet -, n’existe pas en Amérique du Nord. Au Canada, comme aux Etats-Unis, les syndicats doivent se faire « accréditer ». Cette procédure de l’accréditation remonte aux années 1930. Elle a d’abord été introduite aux Etats-Unis, dans le cadre des réformes du New deal de F.-D. Roosevelt : le National Labor Act de 1935 (ou loi Wagner, du nom du sénateur qui est à son origine). Il s’agissait de favoriser de nouvelles relations sociales dans les entreprises (on parle, en Amérique du Nord, de « relations industrielles »), de tourner la page de rapports sociaux souvent brutaux et, donc, de favoriser la négociation collective, soit d’obliger les employeurs à discuter avec les syndicats. Mais pour devenir ces interlocuteurs incontournables, les syndicats devaient - et doivent toujours - démontrer devant une commission indépendante (le « conseil national des relations du travail ») que plus de 50% des salariés de l’entreprise où ils souhaitent être reconnus, sont membres du syndicat ou, si ce n’est pas le cas, qu’une proportion importante des salariés est syndiquée et qu’un vote, organisé à bulletin secret, peut attester d’un soutien majoritaire des salariés au syndicat.
Une affiche pour recruter. Au Québec, le chômage est de l’ordre de 7%
Si ces conditions sont effectivement réunies, après enquête de la commission des relations du travail, celle-ci « accrédite » le syndicat. Cela signifie également que le syndicat dispose alors d’un monopole dans l’entreprise et aucun autre syndicat ne peut s’implanter. Il n’existe donc pas de division syndicale sur le lieu du travail. Le syndicat implanté est - en principe - toujours majoritaire. En principe, car il se peut, au fil du temps, que les soutiens au syndicat s’amenuisent ou que les salariés soient tentés par une adhésion à une autre organisation qui serait plus efficace pour leurs intérêts. Cela est possible dans certaines situations, notamment lorsque l’on renégocie les conventions collectives, tous les trois ans au Canada. Des syndicats extérieurs à l’entreprise peuvent alors tenter de prendre la place du syndicat accrédité. On parle de « maraudage ». Il faut alors que ces nouvelles organisations démontrent à leur tour qu’elles ont gagné le soutien majoritaire du personnel de l’entreprise concernée (et donc recommencer la procédure d’accréditation). Cette législation, d’origine américaine, a été reprise dans la législation du travail fédérale du Canada en 1944 et s’applique toujours (alors qu’aux Etats-Unis, elle a été partiellement remise en cause dès 1947, par la loi, d’origine républicaine, Taft-Hartley). Le Québec a retranscrit également ces principes dans sa législation du travail nationale quelques jours seulement après son adoption au niveau fédéral canadien, ce qui ne fut pas le cas de toutes les provinces canadiennes, le droit syndical étant plus ou moins étendu selon le cas. Les provinces de l’Ouest, particulièrement l’Alberta, ont un droit syndical plus limité.
On peut cotiser sans adhérer
Dès lors qu’un syndicat est accrédité dans une entreprise, l’adhésion a celui-ci devient obligatoire pour tous les salariés et la cotisation est directement prélevée sur le salaire (elle correspond le plus souvent à un peu plus de 1% du salaire). En revanche, si la cotisation est obligatoire, tel n’est pas le cas - étonnamment - de l’adhésion. On peut donc cotiser sans adhérer ! Mais un certain nombre de conventions collectives obligent également à l’adhésion. Les cotisations perçues par les syndicats assurent le fonctionnement de l’organisation syndicale mais aussi le financement de caisses de grève. Le recours à la grève est d’ailleurs loin d’avoir disparu. Montréal a connu au printemps dernier des conflits dans différents secteurs : personnel municipal, santé et agents commerciaux de Via Rail - une compagnie de chemin de fer - menaçait également récemment de recourir à la grève. Mais les grèves sont généralement limitées. Les syndicats en font habituellement un usage progressif pour peser sur la négociation. Et les grévistes sont indemnisés par leurs syndicats. Enfin, la question de cette reconnaissance ne porte pas sur l’organisation syndicale en tant que telle. Celle-ci n’a pas à démontrer qu’elle respecte ou non certains critères (comme, en France, avec la réforme récente de la représentativité). Le syndicat doit démontrer tout de même, au début de la procédure, qu’une majorité des salariés concernés par cette procédure le soutiennent. Mais ensuite le débat va porter sur le bien-fondé de l’ « unité d’accréditation » (ou unité de négociation) - soit l’entreprise ou partie de l’entreprise - dont le syndicat entend être le représentant unique. Au Québec, des critères ont été élaborés par la jurisprudence de la commission des relations du travail :
Défilé de la Saint-Jean à Montréal, le 24 juin 2010
1. la volonté des salariés librement exprimée « d’appartenir à une association des salariés de [leur] choix ». 2. l’histoire des accréditations propre à l’entreprise concernée. 3. l’organisation territoriale de l’entreprise concernée. 4. la main d’œuvre concernée et sa mobilité. 5. « la paix industrielle qui ne doit pas être troublée par la multiplicité des groupes ou des syndicats ». 6. l’exigence que « tous les salariés qui ont des intérêts communs ne forment qu’un même groupe »3. L’appréciation de ces intérêts communs a pour base une série de similitudes au sein du groupe concernant le travail, ses conditions, les qualifications, les rémunérations... [2]
[1] Voir Jacques Rouillard, L’expérience syndicale au Québec. Ses rapports avec l’Etat, la nation et l’opinion publique, Montréal, VLD Editeur, 2009, p.54-60
[2] Critères repris de Jean Gérin-Lajoie, Les relations au travail au Québec, Montréal, Gaëtan Morin Editeur, 2004, p.57
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