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Photo du rédacteurDominique Andolfatto

Lu pour vous : « Mélenchon le plébéien »

Jean-Luc Mélenchon, ancien dirigeant du Parti socialiste, co-président du Parti de Gauche qui, à l'occasion de cette campagne présidentielle, a réussi à conduire les (derniers) réseaux militants du Parti communiste ainsi qu'une partie de ceux de l'extrême gauche trotskyste, serait-il en passe de réaliser, le 22 avril prochain, un meilleur score que Georges Marchais en 1981 ?


Il y a trente ans, en 1981, le secrétaire général du PCF avait rassemblé 15,3% des suffrages exprimés, résultat qui sonnait alors le déclin d’une force politique incontournable depuis la Libération. Jean-Luc Mélenchon - crédité de 10% des intentions de vote par les sondages depuis début mars, puis de 13 à 15% ces derniers jours - va-t-il redonner pareille audience à la gauche du PS ? Au-delà, ne réincarne-t-il pas déjà ce rôle de tribun de la plèbe - pour faire allusion aux institutions de la Rome antique - que joua longtemps le PCF ?


Mais qui est Jean-Luc Mélenchon ? On connaît mal le personnage qui a longtemps joué les seconds rôles au sein de l’appareil socialiste. Deux journalistes - Lilian Alemagna et Stéphane Alliès - éclairent son étonnant parcours dans un livre paru en janvier 2012 chez Robert Laffont : Mélenchon le plébéien(20 euros).


Arrêtons-nous sur deux ou trois moments-clé de cette carrière. D’abord celle d’un homme d’appareil qui a peur du suffrage populaire. A chaque élection, Jean-Luc Mélenchon entre en campagne « avec beaucoup de pétoche » écrivent les deux auteurs du livre, citant un proche de l’intéressé (p. 188). Il est vrai que sa carrière politique ne ressemble en rien au cursus honorum qui a longtemps caractérisé le personnel politique français : d’abord des fonctions locales, puis une fonction parlementaire (cumulée bien souvent avec les précédentes), puis - pour quelques-uns - une fonction gouvernementale.

- Homme d’appareil et de réseaux -

La trajectoire de Jean-Luc Mélenchon traduit d’abord une nouvelle façon de faire de la politique et, en l’occurrence, une « professionnalisation » de l’engagement en politique qui prend appui, non pas sur le suffrage populaire et un fief local, mais sur l’intégration de cabinets et d’appareils politiques qui catalysent les carrières. Les appartenances à des réseaux, les bonnes relations, les amitiés anciennes et sûres, le soutien de ceux qui ont gagné de l’influence (pour faire allusion à un petit livre classique de Quintus Cicéron) sont ici décisives.



Jean-Luc Mélenchon s’engage à vingt ans au sein de l’OCI (qui deviendra le PCI, puis le PT et, aujourd’hui le POI), l’organisation des trotskystes lambertistes, qui comptèrent également dans leurs rangs Lionel Jospin, et qui composent encore aujourd’hui une minorité non négligeable de Force ouvrière. Il y suit une solide formation au marxisme (délivré notamment par Olivier Jospin, le frère de Lionel). Il apprend également les techniques de l’organisation, une certaine rhétorique, des « effets de manche » (p. 45), dans lesquels il va exceller.

- De l’OCI au PS -

Il rencontre François Mitterrand, dont il sera un indéfectible soutien et admirateur, lors d’un meeting électoral à Besançon, en 1974. L’OCI est décidée à jouer alors le jeu de l’union de la gauche. Jean-Luc Mélenchon commence à se rapprocher du PS. Selon les deux auteurs du livre, son adhésion au PS aurait été précédée de sa radiation de l’OCI. Nous sommes en 1976. L’épisode demeure tout de même peu clair et assez formel. « Jean-Luc Mélenchon reste très imprécis sur cette péripétie » écrivent les deux auteurs (p. 51). Il s’agit d’une radiation qu’expliquerait un activisme qui débordait du cadre strict de l’OCI, mais en aucun cas d’exclusion. Les auteurs n’accordent toutefois guère de crédit à l’hypothèse d’une double appartenance - pendant tout une période - de Jean-Luc Mélenchon à l’OCI et au PS (comme dans le cas de Lionel Jospin), double militantisme servant les intérêts des deux organisations. Toutefois, les itinéraires ont bien un parallélisme, tout en étant décalés de quelques années. A chaque fois, Pierre Joxe, homme de confiance de Mitterrand, apparaît en embuscade, repérant pour le PS les « bons » militants gauchistes, facilitant leur intégration au sein du parti issu du congrès d’Epinay et, ce faisant, l’inclinaison idéologique qu’il importe de lui donner face à certaines tendances, chevènementistes ou rocardiens, ou au PCF.

- Dans l’Essonne -

En 1978, Jean-Luc Mélenchon est nommé directeur de cabinet du maire de Massy, Claude Germon, dans l’Essonne. Claude Germon est lui-même un personnage complexe, gravitant dans l’entourage de F. Mitterrand et proche de L. Jospin, J. Poperen, P. Joxe. C’est aussi un dirigeant de la CGT, membre de la commission exécutive confédérale et rédacteur en chef du journal Le Peuple (le « journal officiel » de la CGT). Il est l’un de ceux qui, en 1978, dénonce ce qui apparaît comme une « resoviétisation » de la confédération syndicale. L’ancien fonctionnaire des impôts perd alors ses mandats syndicaux avant d’être élu député en 1981, battant le communiste Pierre Juquin, alors proche de Georges Marchais. C’est donc lui qui recrute Jean-Luc Mélenchon comme son collaborateur le plus proche. Et c’est de surcroît à Massy que le futur candidat à l’élection présidentielle de 2012 aurait rencontré pour la première fois Pierre Lambert, le dirigeant de l’ombre de l’OCI et autre proche de Claude Germon (selon les deux auteurs du livre, p. 67). Etonnante coïncidence !


Cependant, le maire de Massy paraît regretter rapidement sa recrue : « Il n’était vraiment pas fait pour la gestion [locale] » confie-t-il dans le livre (p. 80). Dans une interview sur France Inter, le 31 janvier dernier, il ajoutait qu’ « on lui avait demandé d’embaucher Mélenchon... un garçon qui n’a jamais eu de métier... mais qui n’était pas fait pour ça [la gestion locale] ». Dès lors Germon favorise la désignation de Mélenchon à la tête de la fédération du PS de l’Essonne, rôle politique qu’il juge mieux correspondre au profil de l’ex-trotskyste. Il le fera également élire conseiller municipal de Massy, son premier mandat électoral en 1983, puis conseiller général de l’Essonne, en 1985. Mais il sera battu en 1992 tandis que la municipalité de Massy sera perdue en 1995. Réélu conseiller général en 1998, il ne représente pas sa candidature en 2004.

- Au Sénat -

La désignation de Jean-Luc Mélenchon comme premier secrétaire du PS de l’Essonne marque d’abord la reprise de la fédération aux chevènementistes. Etre le premier fédéral lui permet aussi de « préempter la tête de liste en Essonne pour les sénatoriales de 1986 » (p. 81). Cela lui vaut une élection automatique au Sénat, à 35 ans et un mois : « une gâche en or, pendant neuf ans t’es tranquille et tu peux faire de la politique » aurait alors déclaré le nouveau sénateur à l’un de ses proches (p. 81). De fait, Jean-Luc Mélenchon a pour ambition d’ancrer solidement le PS à gauche. Il se pose avant tout en gardien du temple. S’il combat fermement toutes les dérives centristes - à la tête du courant de la « gauche socialiste » dans un premier temps, aux côtés notamment de Julien Dray, également ex-OCI - c’est aussi avec l’ambition de conquérir un jour la direction du parti.



Parallèlement à cet activisme dans l’appareil socialiste, Jean-Luc Mélenchon, intègre un nouveau réseau, celui du Grand Orient de France où, lors des « tenues », ses discours vont rencontrer le succès. Cette appartenance paraît précieuse lors des élections au scrutin indirect : sénatoriales ou votes internes au PS ou au Sénat. Pour les premières, J.-L. Mélenchon « n’allait jamais voir les petits villages [pourtant décisifs], donc il fait ce qu’il faut au parti et recherche des votes d’appui » rapporte un témoin (p. 160)...


Mais au sein du PS, Jean-Luc Mélenchon va très vite se heurter à un plafond de verre, notamment aux énarques qui ont pris les clés du pouvoir et le tiennent en lisière (sa tentative de conquête de la direction du parti s’apparentant, de ce point de vue, à un véritable combat de classe). Il se heurte également à des pratiques internes, celles d’élections qui minimiseraient régulièrement les soutiens dont bénéficient Jean-Luc Mélenchon et les courants successifs qu’il anime. Les auteurs mentionnent notamment ces pratiques à l’occasion du vote interne au PS lors du Traité constitutionnel européen puis lors du congrès du Mans (2005), les fédérations des Bouches-du-Rhône, de l’Hérault et du Nord étant habituellement les grandes ordonnatrices de dérives (p. 242 et 259-260).

- Le Front de gauche -

La suite de l’histoire est davantage connue. Jean-Luc Mélenchon, pourtant mitterrandolâtre, prend peu à peu le large par rapport au PS et se rapproche de l’ « autre gauche ». Les mobilisations contre le vote « non » lors du référendum européen (2005), auxquelles il participe activement, annoncent son divorce avec le PS finalement officialisé en novembre 2008. Jean-Luc Mélenchon tente alors de créer avec le Parti de Gauche, l’équivalent français du parti allemand Die Linke (qui, depuis 2007, regroupe les communistes de l’ex-Allemagne de l’est, l’aile gauche du SPD, des syndicalistes du DGB et a totalisé 11,9% des suffrages exprimés lors des élections fédérales de 2009).



Mais le PCF ne veut pas se fondre dans une nouvelle organisation tandis que les petites formations d’extrême gauche préfèrent conserver jalousement leur indépendance. Au projet d’une organisation commune sera donc substituée une formule plus souple, un cartel : le Front de gauche dont Jean-Luc Mélenchon sera le tribun.


En 2009, il se fait élire eurodéputé du Front de gauche, dans la grande circonscription du Sud-Ouest. Puis, à compter de 2011, après un vote express des communistes en sa faveur - ce qui n’exclut pas des tensions internes au PCF car soutenir un trotskyste demeure une hérésie pour une partie des communistes -, il peut se lancer dans la campagne présidentielle et, bientôt, en constituer l’un des principaux animateurs.

Le livre revient également sur les deux ans pendant lesquels Jean-Luc Mélenchon fut ministre de l’enseignement professionnel (2000-2002). Un ministère alors tout nouveau, disparu depuis. Sans doute s’agissait-il pour Lionel Jospin de faire taire les critiques sur sa gauche en confiant des responsabilités à ses contradicteurs, selon une tactique éprouvée. On y découvre Jean-Luc Mélenchon non plus en tribun mais en proconsul, attaché à l’étiquette, dont la politique de désenclavement de l’enseignement professionnel convainc plus les organisations patronales que les syndicalistes de l’Education nationale, et que fascine la Chine...

Jean-Luc Mélenchon Né le 19 août 1951 à Tanger (Maroc) Etudes secondaires à Lons le Saunier et supérieures à Besançon (licence de philosophie) 1971 : entrée à l’OCI (trotskystes) 1976 : adhésion au Parti socialiste 1981 : premier secrétaire de la fédération socialiste de l’Essonne 1986-2000 et 2004-2009 : sénateur de l’Essonne 2000- 2002 : ministre délégué à l’enseignement professionnel 2005 : soutient, contre le PS, le « non » au référendum sur le Traité constitutionnel européen 2008 : démissionne du PS, fonde le Parti de gauche depuis 2009 : député européen janvier 2011 : annonce de sa candidature à la présidentielle de 2012, portée aujourd’hui par le Front de gauche

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