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Photo du rédacteurPhilippe Darantière

Note de lecture : Toujours moins !

Dans un livre au style vif, deux spécialistes de la question syndicale et de son histoire, décrivent la spirale de l'affaiblissement du syndicalisme français.


Ce titre percutant tranche avec les sages intitulés des précédents ouvrages de Dominique Labbé et Dominique Andolfatto. Le ton de l’ouvrage rompt également avec la pondération universitaire de ces deux experts reconnus en matière de syndicalisme. Il s’agit d’un ouvrage passionné, d’une démonstration aussi argumentée qu’implacable des causes réelles de la faiblesse du syndicalisme français. Allant à rebours de bien des idées reçues, et n’hésitant pas à contredire les spécialistes qui énoncent tranquillement des vérités sommaires jusque dans les publications du ministère du travail, Labbé et Andolfatto livrent au grand public quelques clés de décryptage sur le déclin du syndicalisme en France.


L’ouvrage commence par quelques rappels : le mouvement syndical a d’abord été puissant, fondé sur l’adhésion de masse, enraciné dans une culture du terrain d’où il tirait sa légitimité. Puis il s’est institutionnalisé, réduit à un militantisme d’appareil et s’est éloigné du terrain. Il a peu à peu recherché sa légitimité dans la reconnaissance extérieure que lui procurait sa capacité légale à parler pour tous les salariés. Pour expliquer ce glissement, Labbé et Andolfatto formulent une thèse audacieuse. Pour les deux auteurs, les causes sont à rechercher dans le cumul de trois facteurs principaux.


L’ambition syndicale d’occuper un espace à l’intérieur de l’entreprise a conduit à la loi du 30 décembre 1968, qui, en instituant la section syndicale d’entreprise et le délégué syndical, faisait de ce dernier un salarié à part. Sa légitimité ne reposait pas sur le vote des salariés, comme pour les délégués du personnel ou les élus du comité d’entreprise, mais sur sa désignation par un appareil syndical extérieur. Ce privilège accordé aux organisations syndicales représentatives a contribué à institutionnaliser le syndicalisme dans l’entreprise sans contrepartie pour les salariés.



Les lois Auroux, en 1982, ont accentué ce phénomène en instituant une obligation annuelle de négocier dans un cadre délimité. Elles ont confiné peu à peu les délégués syndicaux dans le confort d’un rituel, où ils ont pris l’habitude d’attendre les propositions de la direction. Cette procédure a pu faire perdre à la négociation d’entreprise l’ambition qui devrait normalement animer toute action revendicative. Certes, rien n’empêche les syndicats d’être force de proposition. Ces derniers feront remarquer, de leur côté, que pour négocier, il faut être deux. En renvoyant vers un patronat soi-disant fermé à la négociation la responsabilité de sa passivité dans la revendication, le mouvement syndical élude le problème. La question de fond est que c’est l’Etat qui fixe, même dans l’entreprise, la liste des sujets sur lesquels négocier. Et comme rien ne l’empêche d’allonger cette liste (la négociation sur la GPEC étant la dernière obligation en date), les syndicats sont peu à peu déresponsabilisés.


Le troisième facteur sur lequel les deux auteurs s’arrêtent est la réforme de la représentativité du 20 août 2008. Se livrant à une analyse fine des conséquences de la loi, ils en soulèvent les incohérences et les insuffisances et expliquent de façon assez convaincante pourquoi cette réforme a peu de chance de relever le syndicalisme français de son ornière. On lira aussi avec profit le chapitre qu’ils consacrent à l’Europe sociale, ou plutôt à l’inefficacité que montrent, dans le domaine social, la Commission européenne et la Cour européenne de justice. L’histoire de la dégradation inéluctable des conditions de travail des conducteurs routiers est un exemple frappant de l’inaction syndicale au niveau européen.


Cet ouvrage est volontairement écrit pour un large public. Le style, de forme journalistique, s’autorise des raccourcis que la littérature académique prohibe habituellement. En prouvant qu’ils excellent aussi bien dans un genre que dans l’autre, Dominique Labbé et Dominique Andolfatto dévoilent une facette supplémentaire de leur talent. Quant à leur indépendance d’esprit, elle s’exprime ici avec netteté, ne craignant pas d’égratigner les pensées convenues qui, bien souvent dans l’analyse des faits sociaux, ont pris la place d’un esprit critique rigoureux et libre.


Toujours moins ! Déclin du syndicalisme à la française, par Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, Gallimard, collection Le Débat, 2009, 224 pages, 16,50 €.

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