« Grèves reconductibles », « grève générale », « grève carrée » : les expressions sont nombreuses pour caractériser les différentes formes d'arrêt de travail, que l'actualité récente vient de remettre à l'esprit. On en recensera ici près de quarante.
Reconnu en France depuis la loi du 25 mai 1864 qui supprime le délit de coalition, le droit de grève est inséré dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, repris par celle de 1958.
La grève est la cessation collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles auxquelles l’employeur refuse de donner satisfaction.
Les formes de la grève sont nombreuses.
1) Il y a grève quand des salariés cessent le travail et paralysent, partiellement ou totalement, l’activité de l’entreprise. C’est la grève partielle outotale.
La grève peut être simple. On la dénomme aussi grève carrée ou grève franche : sa durée est définie dans le temps. Dans le cas contraire, on a affaire à une grève illimitée, c’est-à-dire sans limite d’heure ou de date.
Les débrayages sont des arrêts de travail de courte durée, par exemple une demi-heure ou une heure, organisés de façon ponctuelle ou répétée. Ils sont synonymes de grèves d’avertissement.
Grève reconductible
Une grève reconductible est une grève qui peut être reconduite - ou non - après un vote des grévistes, aussi longtemps que nécessaire et sans dépôt d’un nouveau préavis. L’obligation de préavis concerne cependant certains secteurs d’activité, essentiellement le secteur public où les grévistes doivent déclarer leur intention 48 heures à l’avance. Depuis 1963, les grèves dans les services publics ont ainsi été réglementées. Un service minimumy a été installé. La dernière loi sur ce sujet est la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs La puissance publique (préfet) peut ordonner la réquisition dans le cas de grèves portant gravement atteinte à la continuité du service public ou aux besoins de la population.
2) Les syndicats ont cherché et mis au point des formes de grèves moins coûteuses pour les salariés tout en exerçant le même effet. Rappelons, en effet, que la grève ne rompt pas le contrat de travail, sauf faute grave imputable au salarié (loi du 11 février 1950, inscrite dans le code du travail, article L 2511-1). Mais elle a pour effet, en suspendant le contrat de travail (sans le rompre, donc) de priver le gréviste de la rémunération d’un travail qu’il n’effectue pas. Pour limiter la perte de salaire tout en exerçant une pression sur l’entreprise, des formes de grèves ont été mises au point.
a. Les grèves qui ne mettent pas en mouvement l’ensemble des salariés :
les grèves tournantes : les salariés abandonnent le travail les uns après les autres, les uns cessent quand les autres reprennent, de sorte qu’il y ait toujours assez de grévistes pour que l’entreprise soit paralysée ; les grèves bouchon ou grèves thrombose : il s’agit d’un arrêt de travail dans un seul atelier ou service de l’entreprise pour paralyser le travail en aval, faute d’approvisionnement, ou en amont, par embouteillage.
b. Les grèves sans cessation de travail :
les grèves perlées consistent à travailler au ralenti, de manière à briser les cadences et à rendre la production non rentable. les grèves du zèle consistent à appliquer de manière scrupuleuse le règlement au point de tout paralyser. Les grèves des douaniers en sont un exemple connu : en vérifiant de manière systématique et approfondie les bagages de très nombreux voyageurs, les douaniers concernés freinent gravement le transport aérien ou auto-routier.
Ces formes de grèves peuvent être considérées comme une réalisation volontairement défectueuse du travail et être considérées comme illicites.
Les grèves d’autosatisfaction sont également illicites car elles ne donnent pas de marge de négociation à l’employeur. Une telle grève consiste pour les salariés à s’accorder eux-mêmes satisfaction à leurs réclamations. Exemple : faire grève pour protester contre la mise en place d’heures supplémentaires, au moment même où les heures auraient dû être réalisées. Ou encore : s’accorder un « pont » lors du vendredi de l’Ascension sans autorisation de l’employeur, en arguant du droit de grève.
En revanche la grève est licite si les motifs de la grève diffèrent de la non-exécution des heures supplémentaires ou bien lorsque la grève ne coïncide pas avec les horaires contestés.
Grève par procuration
Faire grève a pour conséquence directe de voir son salaire réduit des heures ou des jours non travaillés. Dans un contexte économique difficile, des salariés peuvent hésiter fortement à faire grève. Tout en approuvant les grévistes que la situation professionnelle met davantage à l’abri de cette conséquence, ils ne se lancent pas eux-mêmes dans la grève. Ils la soutiennent, ils l’approuvent et l’expriment notamment dans les sondages sur la popularité d’une grève. On peut alors dire qu’ils font grève par procuration. Cette formule est apparue en France lors des grandes grèves de novembre-décembre 1995, pour donner une explication aux grèves très suivies dans le secteur public et par les personnels à statut, alors qu’elles l’étaient beaucoup moins par les salariés du secteur privé.
Cette vision des choses mérite d’être considérée avec prudence. Une autre lecture consiste à considérer la formule comme une tentative d’intégrer dans un même mouvement de protestation des salariés qui - les faits le montrent - n’ont précisément pas fait cette démarche.
3) D’autres formes de grèves existent, qui peuvent prendre des dimensions plus vastes et spectaculaires.
Grèves avec occupation
Les grèves avec occupation (ou grèves sur le tas) des lieux de travail sont apparues en France au moment du Front populaire, en juin 1936. Le motif avancé est qu’il faut empêcher l’employeur de faire venir d’autres travailleurs, ce qui nécessite d’immobiliser l’outil de travail. Ces occupations sont illicites, en ce sens qu’elles portent atteintes à la liberté du travail. L’employeur peut obtenir du juge une ordonnance d’expulsion des grévistes qui occupent les lieux de travail.
Publié en 2006, ce livre présente des photos saisissantes des grèves du XXème siècle. La photo de couverture montre des ouvriers des chantiers navals de Bordeaux en juin 1936, qui dansent au son de l’accordéon Autre photo du Front populaire, en juin 1936, sur les chantiers du Trocadéro à Paris.
Le piquet de grève est un groupe de grévistes installé à l’entrée de l’entreprise ou du lieu de travail dans le but d’en contrôler ou d’en bloquer l’accès. Si les salariés non-grévistes ne peuvent pas entrer, il s’agit d’une entrave à la liberté du travail, condamnée par les tribunaux. Le piquet de grève est alors illicite.
De la même façon, le lock-out (littéralement « fermer dehors ») est la décision que prend l’employeur, en cas de grève, de fermer l’entreprise, dans le but de conduire les non-grévistes à faire pression sur les grévistes pour reprendre le travail. Cette pratique est interdite, car elle porte atteinte, elle aussi, à la liberté du travail. Au Canada, on parle de cadenassage.
Les grèves de solidarité sont faites pour manifester la sympathie portée aux salariés en grève dans une autre entreprise.
Les grèves politiques ne s’appuient pas sur des revendications professionnelles mais affirment une position politique, appuient un mot d’ordre lancé par un mouvement politique. Les grèves de solidarité (sauf si revendication professionnelle) et les grèves politiques ne sont pas licites et sont considérées comme un usage abusif du droit de grève.
La grève générale
La grève générale répond à un objectif politique précis. Elle est d’origine anarchiste et s’est trouvé exprimée dans les rangs de la CGT dès la fin du XIXème siècle. Cette conception du syndicalisme entend faire la révolution sociale, non pas en s’emparant du pouvoir politique mais en renversant tous les pouvoirs, politiques et économiques, par la cessation totale du travail dans l’ensemble du pays.
Les théoriciens et les penseurs du syndicalisme révolutionnaire ne croyaient guère eux-mêmes à la possibilité de réaliser la grève générale. Georges Sorel la considérait comme un « mythe » mobilisateur des masses, une grande image qui les faisait rêver et leur donnait un sentiment de puissance.
Le mythe de la grève générale a surgi à nouveau en France en mai 1968. Son utilisation dans le conflit de la réforme des retraites, en cet automne 2010, doit beaucoup aux militants porteurs de la conception anarchiste et révolutionnaire du syndicalisme. Elle aura, notamment, nourri les déclarations de militants SUD et Force ouvrière (où une tendance trotskyste et révolutionnaire, quoique minoritaire, s’exprime avec vigueur).
Pour leur part, les communistes (et, avec eux, les dirigeants et militants de la CGT qui a longtemps été contrôlée par eux) ont été réticents à la formule, à cause de son origine anarchiste. Ils préfèrent parler de « grèves généralisées » ou de « grèves nationales », sous contrôle, en fait, de l’appareil PC-CGT.
Une autre distinction peut être faite, entre grève sauvage et grève syndicale.
Lorsque la grève se fait sur un mot d’ordre laissé par le syndicat, la fédération ou la confédération, on parle de grève organisée ou grève syndicale.
L’origine de la grève peut être différente. Elle peut jaillir spontanément, à partir d’un incident quelconque et se propager - quelquefois très rapidement - à l’ensemble de l’entreprise, cela sans que les syndicats y soient pour quelque chose. C’est la grève sauvage (l’expression est d’origine anglaise). L’extension de grèves sauvages à d’autres entreprises a été observée en mai 1968, provoquant une grève générale du pays. Les organisations syndicales n’apprécient guère les grèves sauvages, dont la naissance mais aussi le déroulement peuvent leur échapper. Elles s’efforcent alors de « coiffer le mouvement », en plaquant des revendications syndicales sur les insatisfactions de départ puis en prenant progressivement le contrôle du conflit.
Comité de grève
Le comité de grève permet, sous conduite syndicale, de coordonner les efforts des grévistes et de donner une unité à l’action collective, par-delà les différentes sensibilités syndicales.
Le comité de lutte, d’inspiration politique (trotskyste notamment), permet de déborder le cadre syndical et, par différentes techniques, de contrôler les initiatives des grévistes, notamment par le noyautage des assemblées générales de grévistes.
Quoique souvent acte individuel - il ne s’agit donc pas, au sens strict, d’une grève - la grève de la faim est un refus de se nourrir afin d’attirer l’attention de l’opinion publique sur une revendication ou sur une situation particulière. Elle a souvent un caractère politique.
En France, le recours à la cessation du travail est un trait caractéristique de notre culture de relations sociales. Dans d’autres pays, le mécontentement peut revêtir d’autres formes. Ainsi, au Japon, les salariés mécontents peuvent porter un brassard pendant leurs heures de travail, affichant ainsi leur insatisfaction collective. On parle parfois de grève à la japonaise.
Le boycott ne relève pas de la grève mais s’en approche. Il ne s’agit pas d’arrêter la production mais d’arrêter l’achat des biens ou des services de l’entreprise. Ce n’est pas le producteur - le travailleur - qui agit, mais le consommateur.
Le boycott, qui menace les ventes et peut avoir des conséquences négative sur l’emploi, n’est pas toujours bien vu par les syndicats. En revanche, les mouvements altermondialistes apprécient ce type d’action (exemple : « boycottons Danone » en 2001).
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