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Photo du rédacteurDominique Andolfatto

Pourquoi sont-ils partis ?

Les syndicats français accueillent aujourd'hui, toutes tendances confondues, trois fois moins d'adhérents qu'il y a trente ans. Pourquoi sont-ils partis ? C'est à cette question que répondent, de façon ramassée et impertinente à la fois, Dominique Andolfatto et Dominique Labbé, dans leur ouvrage « Toujours moins » (Gallimard, Le Débat) qui vient de sortir en librairie.


Plusieurs causes, qui se cumulent souvent, expliquent les nombreux départs de syndiqués qui se sont produits surtout dans les années 1980.


Les départs « naturels » sont toujours assez nombreux : décès, changement de métier, d’entreprise ou de région, promotion, chômage, retraite. Ces causes « naturelles » concernent chaque année entre 5 % et 10 % des syndiqués. Dans quelques cas spécifiques, on rencontre même des taux beaucoup plus élevés (pouvant aller jusqu’à 30 % par an) : hôtellerie-restauration, nettoyage et gardiennage. Dans ces syndicats, l’adhésion suivait de près l’embauche dans l’entreprise et la démission de l’adhérent coïncidait avec son départ pour une autre entreprise. Dans les années 1960-1970, un tel turn over se rencontrait aussi chez les ouvriers spécialisés de l’automobile, du plastique, etc.


Si les partants ne sont pas remplacés, les effectifs diminuent donc plus ou moins rapidement. Par exemple, un taux de départ naturel de 10 % signifie que, en sept ans, le syndicat aura perdu plus de la moitié de ses adhérents. Avec un taux de 5 % cette diminution de moitié survient en moins de quinze ans.

Autrement dit, le syndicat est un peu comme un homme qui remonte un tapis roulant : pour rester simplement sur place, il est condamné à marcher à la vitesse du tapis... Dans les années 1980-1990, cet homme a cessé de marcher alors que plusieurs causes ont accéléré la vitesse du tapis.

- Rejet des divisions -

En premier lieu, il y a eu le rejet des divisions et de la politisation des dirigeants syndicaux. Certes, celles-ci ont toujours existé mais, durant les années 1958-1977, il y avait une sorte d’entente tacite pour ne pas les étaler sur la place publique et éviter qu’elles ne rejaillissent sur le lieu du travail. À partir de 1977-1978, beaucoup d’adhérents et de militants de base ont été écoeurés par les rivalités et les polémiques publiques entre CGT, CFDT et FO qui ont fait rage jusque dans les usines et les bureaux. À cela se sont ajoutées les exclusions et les scissions.


Sous la direction d’Henri Krasucki, la CGT a été « normalisée ». Tous ceux qui n’acceptaient pas la rupture de l’union de la gauche, le réalignement sur Moscou après l’invasion de l’Afghanistan et la loi martiale en Pologne ont été contraints de partir. L’effondrement du PCF a également pesé dans la disparition des équipes syndicales ou dans leur transformation en appareils sans base sociale.



À partir de 1978, la CFDT « recentrée » a entrepris d’éliminer les « coucous gauchistes », selon l’expression de son secrétaire général (Edmond Maire), ce qui a conduit à la naissance de SUD à La Poste, puis à la SNCF et à la division chez les routiers, les enseignants, les personnels des hôpitaux, etc.


De même, au sein de FO, la prise de contrôle de certaines unions départementales (UD) et fédérations par les trotskistes du Parti des travailleurs a entraîné de nombreux départs, notamment vers l’UNSA ou, là encore, vers la nonsyndicalisation.


En effet, à chaque fois, les organisations ne se sont pas coupées en deux parts plus ou moins inégales mais en trois. La troisième part, souvent la plus importante, étant constituée de ceux qui, écoeurés, ont choisi... de ne pas choisir entre les clans et de ne plus être syndiqués.

- Des syndicats éloignés des salariés -

L’autre cause essentielle de la désyndicalisation est plus inattendue : non seulement les syndicalistes n’ont guère recruté, mais ils se sont débarrassés de certains adhérents. Plus du tiers des anciens adhérents, que nous avons rencontrés en 1988, seraient volontiers restés syndiqués mais on ne venait plus leur demander la cotisation, la section ne se réunissait plus, il n’y avait plus de permanence, personne ne répondait aux courriers ou aux appels téléphoniques, le contact direct avec les salariés était délaissé. Or, dans la plupart des établissements concernés, la section syndicale continuait d’exister. Elle présentait des listes aux élections, elle disposait d’élus et de locaux. Mais les responsables se sont désintéressés d’une partie de leurs adhérents et militants par négligence, ou parce qu’ils étaient en désaccord politique avec eux, ou parce que, du fait de leurs difficultés professionnelles, ces gens représentaient un « coût » jugé prohibitif en temps de délégation.


Dans les entreprises privées, ce mouvement commence dès le début des années 1970, avec la création de la section syndicale et du délégué syndical (DS). Ce mandat a été systématiquement cumulé avec ceux de DP ou d’élu CE. Comme les fonctions de DS ou d’élu CE sont plus gratifiantes, les heures de délégation du DP ont été utilisées à autre chose et il a disparu des ateliers et des bureaux. Le mouvement s’est amplifié avec les lois Auroux, du nom du ministre du Travail socialiste de l’époque (1982), qui ont octroyé, à la section syndicale et au CE, des moyens supplémentaires financés par l’employeur. Les syndicalistes se sont demandé à quoi bon se donner du mal pour collecter de maigres cotisations alors qu’ils avaient tout ce qu’il fallait pour fonctionner sans avoir à jouer les « assistantes sociales » ou les « marchands de parapluies ». Ils ont également pensé qu’ils utilisaient mieux leur temps en négociant avec l’employeur des conventions valables pour tous les salariés plutôt qu’en s’occupant de cas individuels qu’ils connaissaient d’ailleurs de plus en plus mal puisqu’ils n’étaient plus en contact avec la vie quotidienne des ateliers et des bureaux...



Certes, avant 1968, le syndicat était précaire, surtout s’il ne contrôlait pas le CE. Il a donc semblé logique de lui donner une meilleure assise et de lui assurer une présence pérenne sur les lieux du travail. Pourtant le résultat a été inverse : les syndicats ont perdu leurs racines sociales et se sont transformés en machines lointaines et étrangères aux salariés.

- La perte des racines sociales -

En conclusion, la faiblesse « historique » des syndicats et l’infidélité des adhérents sont des préjugés commodes. Premier préjugé : puisqu’une petite minorité « militante » prend seule en charge les intérêts collectifs, il est normal que ces « militants » soient investis de toutes les responsabilités et que, en dehors de l’élection de leurs représentants, les salariés n’aient pas voix au chapitre.


Deuxième préjugé : puisque les salariés n’apportent pas spontanément aux syndicats les moyens nécessaires à leurs activités - pourtant utiles à tous -, il est normal que des protections, des aides et des subventions permettent de faire vivre ces organisations utiles qui périraient sans cela. Ce faisant, on a pensé accorder une aide à l’ensemble des salariés. En réalité, on a permis la confiscation de ces privilèges et de ces aides par quelques-uns, c’est-à-dire la « privatisation » d’un bien collectif qui aurait dû profiter à tous.

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