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Photo du rédacteurPhilippe Darantière

Qu'est-ce que la doctrine sociale de l'Eglise ?

{Caritas in Veritate}, l'encyclique du Pape Benoît XVI signée du 29 juin dernier, s'inscrit dans la tradition d'un enseignement à visée sociale de l'Eglise catholique. C'est au XIXème siècle que la « doctrine sociale de l'Eglise » a pris la forme d'un corpus spécifique de la doctrine catholique. Il devenait nécessaire de réaffirmer et d'actualiser quelques grands principes, dont le contenu n'a pas varié depuis sa fondation.


Dans la tradition chrétienne, la source du pouvoir temporel est en Dieu. Jésus l’a dit à Pilate : « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir si celui que tu possèdes ne t’avait été donné d’en haut » (St Jean 19-11). De cette révélation, la doctrine chrétienne a tiré deux leçons.


La première est le principe de transcendance : la légitimité du temporel procède de l’ordre divin. L’histoire humaine est orientée vers une fin, qui est Dieu lui-même. Ainsi, la vie humaine se déroule sur la terre selon deux modes distincts et complémentaires : le temporel et le spirituel.


Comment ces deux ordres sont-ils reliés entre eux ? C’est le deuxième principe de la doctrine chrétienne. Il est fondé sur la distinction des pouvoirs temporel et spirituel : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Saint Matthieu 22-21). La religion catholique a introduit en même temps que le principe de transcendance celui de séparation du temporel et du spirituel.

- La doctrine du bien commun -

Selon la doctrine chrétienne, la vocation du politique est simple : créer, au moyen de la loi, l’ordre en vue du bien commun. Le principe de l’origine divine du pouvoir impose que sa pratique tende au bien voulu par Dieu. Il est même du devoir des responsables politiques de réaliser les conditions du bien commun : la paix, la justice, la protection des faibles, etc. A partir du Moyen-âge, cette doctrine du bien commun va devenir la pensée sociale de l’Eglise. Codifiée par Saint Thomas d’Aquin, elle expose que le gouvernement de la cité doit être orienté vers la réunion des conditions favorables au salut des citoyens. Tout cela se réalise dans l’autonomie de la sphère politique, conçue comme un aspect de la vie morale.



- Au XIXème siècle -

Avec la sécularisation de la société qui s’impose dans les affaires publiques en Europe à l’issue de la Révolution française, la doctrine sociale de l’Eglise s’adapte aux conditions nouvelles. La papauté fait un double constat à partir des conséquences de la Révolution : la prééminence de la doctrine libérale d’une part et l’émergence de la doctrine socialiste d’autre part. Pour les libéraux, c’est le profit qui devient le moteur de l’activité : il est le gage de la satisfaction des besoins de l’individu, et la recherche du profit par chacun servira à la prospérité de tous. Pour les socialistes, c’est l’émancipation qui doit permettre d’assurer le bonheur de l’humanité : celui-ci n’est plus renvoyé à une hypothétique éternité, mais doit se réaliser par l’affranchissement de l’homme de toute aliénation, celle du capital comme celle de l’Etat ou de l’Eglise.


C’est donc en réaction aux conséquences de la Révolution que l’Eglise catholique va d’abord s’exprimer. En 1832, le Pape Grégoire XVI, dans l’encyclique Mirari Vos, dénonce le libéralisme. En 1864, l’année où est rétabli en France le droit de grève et où Marx fonde à Londres la Ière Internationale, le Pape Pie IX renvoie dos à dos les erreurs libérales et socialistes dans l’encyclique Quanta Cura. En 1878, un an après la publication du Capital de Marx, le Pape Léon XIII condamne le communisme et le socialisme dans son encyclique Quod Apostolici. Enfin, en 1891, l’acte fondateur de la doctrine sociale chrétienne est posé par Léon XIII avec l’encyclique Rerum Novarum. Allant au-delà de la réfutation de doctrines erronées, Léon XIII jette les bases d’une société fondée sur la justice sociale et promeut un « ordre social chrétien » au sein duquel les corps intermédiaires sont appelés à jouer un rôle de subsidiarité, au service d’une autonomie légitime des personnes, des familles et des communautés qui constituent la société.

118 ans après Rerum Novarum

Avec Caritas in Veritate, cent dix huit ans après Rerum Novarum, les mêmes principes continuent d’alimenter la pensée sociale chrétienne. Celle-ci s’est enrichi de nouveaux textes : Vehementer Nos de Pie X en 1906 porte sur l’ordre politique et social,Quas Primas de Pie XI en 1925 défend la souveraineté du Christ sur les questions temporelles. Le même Pape Pie XI va aussi publier Quadragesimo Anno en 1935, qui actualise Rerum Novarum et défend notamment le syndicalisme chrétien, ainsi que trois encycliques condamnant le totalitarisme : Non Abbiamo Bigno en 1931 contre le fascisme, Mit Brenneder Sorge en 1937 contre le nazisme et, la même année, Divini Redemptoris contre le communisme athée.



Après la seconde guerre mondiale et le concile Vatican II, la doctrine sociale de l’Eglise va s’élargir au monde et aux questions du développement avec Populorum Progressio de Paul VI en 1967. Enfin, le Pape Jean-Paul II va apporter une contribution importante à cet enseignement de l’Eglise : Laborem Exercens en 1981, Sollicitudo Rei Socialis en 1988, Centesimus Annus en 1991. Ces deux dernières encycliques sont marquées par le contexte de la guerre froide : dans Sollicitudo Rei Socialis, Jean-Paul II tire le bilan de 20 années de décolonisation et d’espoirs déçus en matière de développement, dans Centesimus Annus, pour le centenaire de Rerum Novarum, le Pape avertit les puissances occidentales de ne pas tirer de conclusions trop hâtives de l’effondrement du système socialiste. L’avenir lui a donné raison, et Benoît XVI intervient à son tour dans un contexte que certains ont qualifié d’effondrement du système capitaliste.


L’encyclique Caritas in Veritate de Benoît XVI est donc publiée 18 ans après le dernier grand texte social de l’Eglise catholique. On y retrouve tous les thèmes de cette doctrine : la place centrale de l’homme et la nécessité de son « développement intégral », son rôle de gestionnaire de la création et de membre de la famille humaine, le souci du bien commun comme principe d’une justice distributive, la subsidiarité fondée sur la dignité de chaque personne humaine, la destination universelle des biens produits par l’homme qui doit préserver l’exercice légitime du droit de propriété des excès de la cupidité, enfin l’impératif du partage qui constitue le socle d’une nouvelle « économie du don » que le Pape appelle de ses vœux, à côté des formes plus classiques de l’économie de marché et du rôle social de l’Etat.


Quatre figures de l’engagement de l’Eglise sur le terrain social : St Vincent de Paul, Père Wresinski, Mère Teresa, Abbé Pierre



Cette encyclique, publiée à la veille de la réunion du G8 en Italie, est aussi la première encyclique de la mondialisation. Elle aborde des sujets contemporains comme la crise financière, l’écologie, les délocalisations ou le rôle des médias. N’oublions pas que Benoît XVI, que l’on qualifie volontiers de conservateur, est le premier Pape à avoir une page sur Facebook...

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