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Photo du rédacteurDominique Andolfatto

Regard critique sur le rapport Hadas-Lebel

Début mai, Raphaël Hadas-Lebel, conseiller d'Etat, remettait un rapport sur la représentativité et le financement des organisations syndicales, commandé par le Premier ministre. Si ce document a eu le mérite de contribuer au débat sur la représentativité syndicale et de nourrir l'avis adopté fin novembre par le Conseil économique et social. Il soulève toutefois des questions. Personne ne s'est d'ailleurs vraiment intéressé au diagnostic posé par ce rapport et à son analyse du syndicalisme français.


On regrettera que l’équipe qui a rédigé ce rapport brosse une histoire du syndicalisme hésitant entre le mythe et la convenance. Le document souligne en particulier qu’une « tradition d’anarcho-syndicalisme révolutionnaire » (n’y a-t-il pas pléonasme ?) a imprégné durablement une partie du mouvement ouvrier français. Il serait temps en réalité de revoir cette approche qui tend à opposer révolutionnaires et réformistes, qui fait des premiers des précurseurs, qui laisse supposer que ce clivage perdurerait. C’est plutôt un double langage qui a existé et peut subsister. Ainsi, en 1906, lors du célèbre congrès d’Amiens, les mêmes militants de la CGT appelaient à la grève générale (en séance plénière) mais sur des sujets concrets, discutés en commissions de travail plus restreintes, ils préconisaient l’action réformiste. Cela signifie que les organisations syndicales ne sont pas monolithiques et il faut se méfier des classements ou étiquetages simplistes et répétés depuis lors.


Ce rapport estime également que la « dualité d’organisations, après la création de la CFTC en 1919, n’était qu’apparente ». Qu’est-ce que cela veut dire ? La CFTC des années 1920 et 1930 - ancêtre des CFTC et CFDT d’aujourd’hui - n’avait pas de légitimité professionnelle ? Elle n’avait qu’un caractère virtuel ? Cette théorie de l’ « apparence » permet au passage de valider rétrospectivement la mise à l’écart de la CFTC lors des accords de Matignon de 1936. Mais le rapport n’explique pas par quel mystère la CFTC vit finalement sa représentativité reconnue après guerre.


Le document évoque également une tradition d’indépendance entre syndicalisme et action politique tout en admettant qu’il y a pu y avoir des « affinités » - on admirera cet euphémisme - entre la CGT et le PCF, et peut-être plus, le rapport envisageant audacieusement des « liens plus institutionnalisés ». Mais - rassurons-nous - cela aurait cessé en 1993. En réalité, pour nous en tenir à un seul fait, Bernard Thibault, actuel secrétaire général de la CGT n’a renoncé à siéger au conseil national du PCF qu’en 2001. Et il ne fait plus aucun doute pour personne que ces deux organisations ont longtemps appartenu à un même « écosystème ». En 2005, le référendum sur le Traité constitutionnel européen a même montré combien certains clivages - remontant à ce passé récent - perduraient. Mais cela ne signifie pas que la CGT n’a pas évolué. Ce n’est pas non plus sous-estimer le tournant stratégique impulsé par Bernard Thibault. Mais les évolutions ne se décrètent pas mais suivent un processus relativement lent.


Il a existé également des liens étroits entre la CFTC et le Mouvement républicain populaire (MRP), ancêtre de l’actuelle UDF et d’une partie de l’UMP.






Deux lectures différentes de la définition de la représentativité syndicale : celle de Force ouvrière d’une part, celle de la CFDT (alliée à la CGT, sous le buste de Jean Jaurès, comme en témoigne la photo) d’autre part


Enfin, il y aurait beaucoup à dire concernant les autres organisations. Le Parti des travailleurs, la LCR, n’ont-ils pas une influence privilégiée au sein de FO ou des syndicats SUD ? Ils ont également marqué l’histoire récente de la CFDT et constitué de solides réseaux dans la CGT.


Une sociologie rapide du syndicalisme


La sociologie du syndicalisme qui est brossée soulève d’autres interrogations. Le rapport se borne à citer une étude très synthétique du ministère du travail et, à son exemple, tend à relativiser la baisse - et donc la faiblesse actuelle - de la syndicalisation en France. Cette faiblesse serait « historique » et la situation actuelle ne serait donc pas si extraordinaire ou problématique qu’on pourrait le supposer. Cela tend à légitimer - si l’on pousse le raisonnement - un syndicalisme sans syndiqués et essentiellement « institutionnel ».


En fait, la syndicalisation en France a été relativement importante de la Libération aux années 1970 et la courbe de syndicalisation publiée dans le rapport Hadas-Lebel révise à la baisse des chiffres d’études antérieures. Nous rétablissons ci-dessous la courbe originale en soulignant que - contrairement à ce qu’affirme ce rapport - la syndicalisation en France n’a pas été « quasiment divisée par deux en 25 ans » mais par trois (si l’on remonte aux années 1970) et même par quatre depuis le début des années 1950. Autrement dit, le taux de syndicalisation des salariés français a été loin d’être négligeable jusqu’à la fin des années 1970 avant de s’effondrer.


L’évolution du taux de syndicalisation en France (1949-2004)


e% du salariat



Il y aurait également beaucoup à dire sur la syndicalisation par catégorie qui est mentionnée. Le rapport indique en effet que les cadres seraient aujourd’hui plus syndiqués que les autres catégories. C’est là un autre sujet d’étonnement qui mériterait d’être vérifié. A tout le moins, il conviendrait de s’entendre sur la catégorie de « cadre » et de s’interroger sur le type de questionnement qui a conduit à conclure à la syndicalisation des cadres. Cela pourrait bien constituer un pur « artefact ».


Les données sur les audiences électorales et le dialogue social sont tout aussi rapides. Puis le rapport reprend une analyse convenue du déclin syndical : la « crise », les facteurs de type socio-économique - ce que nous appelons les facteurs « exogènes » de la crise syndicale - ne sont-ils pas une clé trop évidente qui permet d’éviter de s’interroger sur le syndicalisme lui-même ? En fait, les organisations n’hésitent plus à se remettre en cause pour interpréter la désyndicalisation et tenter de convaincre de nouveaux adhérents en changeant leurs pratiques. Au contraire, les conclusions du rapport Hadas-Lebel conduisent à ne plus voir dans les syndicats que ce qui serait des « agences de service » qu’il s’agit de panser et de consolider au moyen d’aides diverses et de mesures fiscales. Est-ce bien cela le projet du syndicalisme ?


Un tableau très incomplet des ressources syndicales


Les informations sur les ressources syndicales sont également décevantes. La part du salaire consacré aux cotisations n’est donnée de façon sûre que pour les adhérents de la CFDT. Reste à se demander si ce chiffre correspondant bien à la réalité. Pour la CGT, on doit se contenter d’une information au conditionnel. Pour les autres : rien. N’aurait-il pas été intéressant d’interroger quelques syndiqués puisque leurs dirigeants semblent muets sur un sujet pourtant si anodin ?


Le rapport livre tout de même une information intéressante (mais difficile à confirmer) : le montant total des cotisations collectées par les confédérations « représentatives » : près de 200 millions d’euros. Les auteurs ne cherchent pas à vérifier si ce chiffre est plausible. Compte tenu du nombre de syndiqués qui est admis par ailleurs, cela paraît un peu faible et, en tous les cas, colle mal avec l’affirmation selon laquelle plus de la moitié des syndiqués appartiendraient aux professions intermédiaires et à l’encadrement.


Le rapport ne parvient pas non plus à évaluer sérieusement la part de ces cotisations dans le budget des différentes confédérations. S’appuyant notamment sur les déclarations des dirigeants syndicaux qui ont été interviewés, il estime que cette part des cotisations se situe dans une fourchette de 15 à 57% des ressources totales, selon les organisations. La marge d’erreur est donc large et le rapport peut donc estimer - sans beaucoup de risque de se tromper ! - que cela n’est pas « totalement irréaliste ». Il n’est pas dit si les salaires des personnels mis à disposition des syndicats - essentiellement par les fonctions publiques et les entreprises publiques ou semi-publiques - sont intégrés dans les budgets qui sont pris en compte. Au cas où ce ne serait pas le cas, ces pourcentages reculeraient.


Le nombre de ces « mises à disposition » n’est d’ailleurs pas évalué globalement. Seuls le chiffre de 590 postes équivalents temps plein est évoqué pour la SNCF. Mais combien sont-ils à EDF-GDF ou dans d’autres entreprises comparables ? Pour la fonction publique d’Etat, le rapport indique que le nombre de décharges de service pour activités syndicales serait au maximum de 5 376 équivalents temps plein (dont 2 087 à l’Education nationale). Pour les fonctions publiques territoriale et hospitalière, seuls 174 emplois seraient concernés. Ces données tendent à corriger à la baisse des hypothèses formulées antérieurement. Faut-il les mettre en doute ?


Le rapport donne également des indications partielles concernant les subventions publiques aux syndicats. Le conseil régional d’Ile-de-France a versé par exemple 1 million d’euros aux syndicats de la région parisienne en 2004. Le ministère de la fonction publique a subventionné les syndicats de fonctionnaires à hauteur de 2,2 millions d’euros en 2005. Mais, là aussi, le tableau est loin d’être exhaustif. Le financement des syndicats par les entreprises - consécutivement à certains accords d’entreprise - n’est pas traité. Il en va de même des ressources - aides diverses ou emplois - procurées aux syndicats par la galaxie mutualiste.


Au total, bien de zones d’ombre, des déclarations tronquées - et peut-être inexactes - de la part des intéressés, des données trop rapidement collectées, ne permettent pas de brosser un tableau exhaustif et sincère des ressources syndicales. Comment - dès lors - clarifier une situation aussi opaque ? C’est portant ce diagnostic qui fonde les actuels débats concernant la réforme de la représentativité syndicale, plus fondamentalement, cherche à refonder la place des syndicats dans les relations sociales et légitimera - sans doute à terme - de nouvelles aides publiques - voire privées - pour les organisations syndicales.


Pour poursuivre cette réflexion, on pourra lire : « Faut-il aider les syndicats », revue Le débat, n° 142, novembre-décembre 2006.



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