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Photo du rédacteurJoel Bagnaschino

Vu ... pas vu sur le net

les retraites et la manifestation du 3 avril.

Début mai, les préoccupations des organisations telles qu?elles se manifestent sur les sites sont remarquablement identiques : manifestations (celle, passée, du 1er mai, celle, à venir du 13 mai) et retraites !

A l?exception notable de la CFDT, les préoccupations restent strictement centrées sur la vie sociale française, sans grande ouverture sur les réalités internationales.


L’âge auquel on peut faire valoir ses droits à la retraite a varié à plusieurs reprises depuis qu’il existe une législation concernant ce qu’on appelait jadis, avant qu’elles ne fussent généralisées, les retraites ouvrières.


La première de ces lois date du 18 juin 1850, Louis-Napoléon Bonaparte étant Président de la République ’ premier à porter ce titre ’ et son principal ministre, Eugène Rouher, titulaire du portefeuille de la justice.


Elle créait une caisse des retraites pour la vieillesse, à laquelle l’adhésion était volontaire, c’est-à-dire facultative. L’entrée en jouissance était fixée au choix du déposant, à partir de cinquante ans, la rente qui lui était versée étant proportionnelle aux versements qu’il avait accomplis. Il n’était pas fixé d’âge au delà duquel le travail devait cesser.


A plusieurs reprises, des lois vinrent modifier le texte fondateur, mais, seule, celle du 20 juillet 1886 comporte une disposition nouvelle quant à l’âge d’entrée en jouissance : l’âge post quem était maintenu : 50 ans, mais un âge ante quem était fixé : 65 ans.


- « La retraite pour les morts » -


La loi du 5 avril 1910 qui créa les retraites ouvrières et paysannes, les ROP, fixait à 65 ans l’âge d’entrée en jouissance de la retraite, et cette disposition fut la cible des attaques syndicales les plus vives et surtout les plus spectaculaires. A cet âge là, il n’y aurait plus beaucoup de survivants, donc de bénéficiaires, parmi les salariés de l’industrie, du commerce et de l’agriculture. On parlait de la « retraite pour les morts ». La formule était frappante, mais fortement exagérée : on estimait à quelque 1.300.000 le nombre des personnes qui bénéficieraient de leur retraite.


Au demeurant, la loi de finances du 27 février 1912 donna satisfaction à la revendication syndicale, en abaissant à 60 ans l’âge auquel on pouvait faire valoir ses droits, étant entendu qu’il était loisible d’attendre pour cela d’avoir atteint 65 ans.


Cette concession ne désarma d’ailleurs pas l’hostilité de la CGT, mais ceci est une autre histoire.


La loi du 5 avril 1928 concernant les assurances sociales (maladie, maternité, décès, par répartition, invalidité, vieillesse par capitalisation) ’ promulguée dix-huit ans jour pour jour après celle des ROP ’ conservait la disposition acquise en 1912 :


« art 13 §1 ’ L’assurance vieillesse garantit une pension de retraite au salarié qui a atteint l’âge de soixante ans. §2 ’ L’assuré peut ajourner jusqu’à soixante cinq ans la liquidation de sa pension... art 15 §1 ’ Pour tout assuré pouvant justifier à l’âge de 60 ans et jusqu’à 65 ans d’au moins trente années entières de versements correspondant chacune à un minimum de 240 heures de travail, la pension de vieillesse ne sera pas inférieure à 40% du salaire moyen annuel, résultant des cotisations obligatoires payées chaque année depuis l’âge de 16 ans ».


Les versements étaient capitalisés sur « un compte individuel d’assurance individuel à capital aliéné ou réservé, au gré de l’assuré ». Si, après trente années de versements capitalisés, les intérêts produits ne permettaient pas de verser une pension égale à 40% du salaire moyen annuel, un Fonds de majoration et de solidarité assurerait le complément.


L’assuré pouvait demander la liquidation de sa pension à l’âge de 55 ans, à la condition d’avoir cotisé pendant au moins vingt-cinq ans, sa pension étant réduite en conséquence.


La loi du 14 mars 1941, relative à l’allocation aux vieux travailleurs salariés, comportait aussi une réforme de la législation des assurances sociales et y introduisait une nouveauté majeure, ce qui devait lui valoir une place de choix dans l’histoire de cette grande institution : elle substituait le régime de la répartition à celui de la capitalisation.


Art 9 §1 ’ Les retraites et pensions de vieillesse des assurances sociales sont constituées sous le régime de la répartition.


Pour la première fois aussi était invoquée ce que l’on a appelé depuis la solidarité entre les générations, il est vrai seulement à propos de l’allocation spéciale destinée aux vieux travailleurs salariés (« Les plus jeunes assujettis au régime de prévoyance obligatoire servent en quelque sorte une allocation à leurs aînés frappés par la vieillesse et la misère ».)


Rien n’était changé quant à l’âge aux dispositions antérieures, mais, en ce qui concerne l’aide « aux vieux travailleurs français sans ressources suffisantes » parce qu’ils n’avaient pas cotisé assez longtemps ou pas cotisé du tout, il fallait 65 ans ou plus pour bénéficier de l’allocation spéciale.


Notons que la loi sur l’assistance obligatoire du 16 juillet 1905 exigeait 70 ans pour bénéficier de l’allocation aux vieillards nécessiteux.


- 1945 : 65 ans -


La grande ordonnance du 19 octobre 1945 « fixant le régime des assurances sociales applicables aux professions non agricoles » conserva le système de répartition en vigueur depuis le 14 mars 1941, mais elle modifia, assez hypocritement il faut le dire, l’âge auquel on pourrait faire valoir ses droits à la retraite.


Apparemment, on pourrait toujours prendre sa retraite à 60 ans, mais, dans ce cas l’assuré qui justifiait d’au moins trente années de cotisations, ne percevait qu’une pension réduite à 20% du salaire de base. Après cet âge, la pension était majorée de 4% de ce même salaire par année supplémentaire de travail, donc de cotisation.


Bref, pour avoir une retraite à 40% du salaire de base, considérée alors comme une retraite à taux normal, il fallait travailler jusqu’à 65 ans.


La retraite à 65 ans était devenue la règle.


Autre nouveauté : l’importance plus grande et même capitale donnée à la durée de cotisation dans le calcul de la pension. On ne pouvait plus, comme dans le système de la capitalisation, prendre pour base de ce calcul les intérêts produits par le capital versé au cours des années, le système de répartition faisant que les cotisations des actifs étaient immédiatement utilisées pour le paiement des pensions des retraités. On décida donc que « la pension serait calculée compte tenu du salaire moyen annuel de base, de la durée de l’assurance dans la limite d’un maximum, enfin de l’âge auquel l’assuré fait valoir ses droits à la retraite ».


Le mot clé est ici celui de maximum, un maximum qui fut fixé à trente années de cotisation. Autrement dit, même s’il cotisait plus de trente années, sa pension ne serait pas augmentée pour autant. Après ces trente années-là, il continuait à cotiser, mais sans que sa pension en fût améliorée pour autant. Il avait seulement la satisfaction de penser qu’il contribuait plus que d’autres à l’effort de solidarité entre générations. « Nos camarades ont cotisé au delà de 90 ans et leur retraite est basée sur les seules trente années de cotisations : c’est injuste et immoral » lisait-on dans le rapport d’activité présenté au 10ème congrès de FO, en mars 1969 (p.93).


La loi du 31 décembre 1971 (Chaban-Delmas étant Premier ministre, Robert Boulin ministre de la Santé Publique et de la Sécurité sociale) corrigea en partie cette injustice en alignant la durée de cotisation des salariés du secteur privé sur le nombre d’années de travail exigé des fonctionnaires pour avoir une pleine retraite : trente-sept ans et demi. Ce qui, pour beaucoup d’ouvriers ayant commencé à travailler dès seize ans faisait encore pas mal d’années de cotisations « gratuite ».


La même loi porta à 50% du salaire de référence la retraite prise à 65 ans.


Le décret du 31 décembre 1972 modifia le salaire de référence pour le calcul des pensions : on tiendrait compte des salaires des dix meilleures années et non des dix dernières.


A la veille de l’arrivée au pouvoir des socialistes, la revendication de l’abaissement de l’âge de la retraite figurait au programme des organisations syndicales, mais elle y figurait en demi-teinte, comme une pierre d’attente, pour ne pas la laisser prescrire en attendant le jour où les circonstances la rendraient réalisables. Aucune campagne spécifique n’étant menée en sa faveur. En matière de retraites, l’effort se portait surtout sur l’augmentation du taux des pensions et aussi sur les « préretraites » dont une convention nationale interprofessionnelle précisa les conditions le 13 juin 1977.


Certes, l’illustre « programme commun de gouvernement du Parti communiste et du parti socialiste » signé le 27 juin 1972 avait promis que « l’âge d’ouverture des droits à la retraite serait ramené à soixante ans pour les hommes, à cinquante-cinq ans pour les femmes » (Ô, parité !), « le droit au travail restant garanti au-delà », mais cette promesse ne tint pas une bien grande place dans les campagnes électorales successives menées sur la base de ce programme.


- 1982 : la retraite à 60 ans -


Aussi, ce ne fut pas sans quelque surprise, y compris dans les milieux syndicaux, que l’on apprit que le 2 mars 1982 Madame Nicole Questiaux, ministre de la Solidarité nationale avait présenté un projet d’abaissement de l’âge de la retraite. Deux ordonnances du 26 et du 30 mars 1982 permirent aux salariés de partir en retraite à 60 ans, avec une pension à taux plein, s’ils avaient cotisé pendant 37 ans et demi (150 trimestres).


L’émotion fut assez vive dans certains milieux syndicaux, l’inquiétude se mêlant à la satisfaction. En effet, les ordonnances concernaient le régime général de la Sécurité sociale, qui relève de la loi, mais ne pouvaient s’appliquer aux retraites complémentaires, dont l’existence repose sur une base conventionnelle : les retraités à 60 ans risquaient de rester cinq années sans toucher leur retraite complémentaire.


A la demande du gouvernement, les partenaires sociaux entamèrent des négociations qui, non sans mal, aboutirent le 4 février 1983 à un accord qui alignait les conditions d’entrée en jouissance de la retraite complémentaire sur celles que l’ordonnance du 26 mars 1982 avait fixées pour la retraite principale. Le surcroît de dépense ainsi imposé aux régimes de retraites complémentaires étant assuré par la mise en place, en accord avec l’Etat, d’une « structure financière » à laquelle on donna la forme d’une association « loi de 1901 », alimentée essentiellement par des fonds publics.


Après de longs débats et une multitude de rapports, dont le plus célèbre est le Livre blanc commandé par Michel Rocard, lorsqu’il était premier ministre, le gouvernement d’Edouard Balladur, par décrets du 27 août 1993, procéda à une réforme capitale. Il n’était pas touché officiellement au droit de faire valoir dès l’âge de 60 ans ses droits à la retraite, mais le nombre de trimestres de cotisation nécessaire pour bénéficier d’une pension à taux plein serait progressivement porté de 150 à 160 trimestres, autrement dit de 37 ans et demi à quarante ans. Cette mesure concernait le secteur privé (régime général) et non pas les fonctionnaires.


Ainsi, sur plus de cent cinquante ans, l’âge de la retraite a peu varié. Les principales oscillations ont été celles allant de 60 à 65 ans. En revanche, la durée de la retraite a, elle, considérablement augmenté, en raison de l’élévation de l’espérance de vie : de 55 ans à la naissance en 1932 à 73 ans en 1990 pour les hommes ; de 60 ans en 1932 à 81 ans en 1990 pour les femmes. Cette évolution n’est pas sans conséquence sur les adaptations à faire vivre à notre réglementation, pour maintenir un niveau de ressources acceptable dans la durée.

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