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  • Photo du rédacteurBernard Vivier

De la critique d'une loi à une crise de la démocratie représentative


Jusqu’à présent, la réforme des retraites était l’objet d’une importante contestation sociale. Elle en est aujourd’hui le prétexte. La crise est devenue politique ; c’est celle de notre démocratie représentative.


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Depuis le 10 janvier 2023, jour où le Premier Ministre Elisabeth Borne a annoncé une réforme du système des retraites, les évènements se sont succédé à vive allure. Trois séquences peuvent être distinguées.


La première a débuté le 19 janvier, quelques jours seulement après l’annonce le 10 janvier de la réforme par Elizabeth Borne, Premier Ministre, avec la première d’une série de vastes manifestations syndicales. Ce jour-là, selon le ministère de l’Intérieur, 1 120 000 manifestants ont été recensés en France. Huit autres manifestations se sont déroulées depuis, avant une dixième le 28 mars, dont trois ont à leur tour dépassé le million de manifestants.

Caractéristique de ces manifestations : le nombre élevé de manifestants, leur déroulement globalement paisible et aussi leur organisation dans une unité entre syndicats que l’on n’avait pas vu depuis longtemps.


L’arrivée du projet de réforme à l’Assemblée nationale a fait évoluer la donne. Soucieux d’aller vite, le gouvernement a transmis son projet à l’Assemblée nationale le 26 janvier, pour examen par la commission des affaires sociales avant examen en séance publique le 06 février.


- Vers le 49.3 -


Ce jour du 06 février, une deuxième séquence a débuté, qui s’est superposée à la première : celle d’un débat virulent au sein de l’Assemblée nationale, notamment en raison de l’obstruction venue de La France insoumise (12 000 des 20 000 amendements viennent de cette formation politique, pour un texte qui comprenait dix articles).

Pendant ce temps-là, les manifestations s’étendaient des grandes villes vers les villes de moyenne et petite importance, dans des manifestations où, par-delà la critique de la réforme des retraites, s’aggloméraient des inquiétudes plus larges : pouvoir d’achat, coût de l’énergie et des transports, éloignement des services publics, etc.

Après un passage au Sénat et la réunion de la Commission mixte paritaire, le projet de loi a été voté au Sénat le 11 mars (195 voix pour, 112 voix contre).

Mais le 16 mars à l’assemblée nationale, devant la très grande incertitude d’obtenir un vote favorable sur son texte, le gouvernement a actionné l’article 49-3 de la Constitution qui permet une adoption sans vote.

Une troisième séquence de la crise s’est ouverte ce jour-là, avec le développement de manifestations d’une forme nouvelle : mouvements plus spontanés qui se déploient en fin de journée et la nuit hors syndicats, manifestants jeunes, violences dans les rues des grandes villes, contestation radicale de la légitimité du Président de la République. Ces manifestations ont un air de déjà vu avec les mouvements « Gilets jaunes » des années 2018- 2019 : pas de dirigeant et d’encadrement, utilisation des réseaux sociaux, présence d'extrémistes dans les actions de rue, contestation de la démocratie représentative au bénéfice d’une démocratie dite directe. Le rejet de la motion de censure le 20 mars, à une très courte majorité, a avivé la flamme (la motion a recueilli 278 voix sur les 297 nécessaires). La rue rejette les décisions des institutions.

La critique de départ (critique de la réforme) s’est trouvée renforcée par une critique de la méthode (utilisation du 49-3) et désormais par une critique de la démocratie représentative elle-même.


- Trois exigences -


Nous vivons aujourd’hui trois exigences.

La première exigence est de débloquer le processus actuel de prise de décision dans la sphère de la vie sociale, aujourd’hui terriblement centralisé par l’État. Une part importante de l’opposition des syndicats à la réforme des retraites tient au sentiment qu’ils ont eu d’être consultés du bout des lèvres sans jamais être vraiment considérés, sans pouvoir être écoutés et compris. Un temps de l’échange retrouvé s’impose. Plus encore, il convient de rendre aux acteurs du marché du travail (patronat, syndicats de salariés) la liberté de faire vivre ce qu’ils ont déjà élaboré sous le vocable « d’agenda social autonome » : négocier, contracter, établir entre eux des règles sociales respectées par la puissance publique. Il convient, en un mot, de mettre l’État à sa place, c’est-à-dire la plus modeste. C’est toute la question de la subsidiarité. Les chantiers du jour ne manquent pas : emploi, assurance-chômage et sa gouvernance, salaires et rémunérations, partage de la valeur (un accord vient d’être conclu entre partenaires sociaux), conditions de travail et pénibilité, carrières longues et emploi des seniors, transition écologique, organisation des temps de vie et de travail, rénovation du paritarisme, etc.


La deuxième exigence est de reconsidérer l’aménagement du territoire français. Le mouvement des Gilets jaunes a montré le sentiment d’éloignement et d’abandon des habitants de la « France périphérique » au profit des métropoles. La crise COVID qui a suivi a accentué ce sentiment d’isolement en même temps qu’elle a vu se développer de nouvelles formes d’organisation du travail et de nouvelles aspirations à vivre. L’annonce de la mise en place des Zones à faible émission (ZFE) au premier janvier 2025, qui concerne 43 villes françaises de plus de 150 000 habitants, risque d’être vécue comme une mesure discriminatoire à l’encontre des villes de petite taille et des communes rurales. Une politique d’aménagement du territoire, des transports (ferroviaires notamment), du logement, d’accès aux services publics et aux soins est à déployer.


La troisième exigence est de penser différemment les modes d’expression politique. L’abstention grandit partout : en politique (abstention au premier tour des élections législatives : 21, 5% en 1986, 52,3% en 2022) comme dans les élections sociales (aujourd’hui, l’abstention est de 61,8% dans les élections du secteur privé et de 56,3% dans les élections de la Fonction publique). Les jeunes générations, très peu présentes dans les manifestations organisées par les syndicats sur la réforme des retraites, ne se sentent plus guère attirées par des structures hiérarchisées, verticales que sont les syndicats et les partis. Les réseaux sociaux, les referendums d’initiative citoyenne, les engagements à temps limité ont leur faveur, au risque de soumettre les intéressés à la dictature de l’émotion et de l’instant, voire de la manipulation par des groupements extrémistes et populistes. Comment dès lors installer une représentation politique renouvelée et toujours attentive à des décisions muries tout en prenant en compte ce besoin et en l'enrichissant de certains outils de l'expression directe ?


La critique de la réforme gouvernementale des retraites est devenue aujourd’hui un débat de deuxième rang. Trois ans après la crise des Gilets jaunes (de l'été 2018 à l'hiver 2019) nous vivons une nouvelle crise de la démocratie représentative. Plus que la personne de M. Macron, c’est le rôle du Président de la République, des institutions parlementaires, des partis et aussi celui des syndicats qui se trouvent à nouveau bousculés par la vague d’émotion populaire qui défraye la chronique.


Le philosophe Louis de Bonald disait en son temps que « toutes les fois que l’on attend le retour de l’ordre, on ne peut se tromper que sur la date ». Pour l’heure, c’est le désordre qui monte. L’observateur pourrait dire aujourd’hui que toutes les fois qu’on attend l’arrivée du désordre, on ne peut se tromper que sur la date.


par Bernard Vivier le 24 mars 2023



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