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  • Dominique Andolfatto et Dominique Labbé

La syndicalisation en France : derniers chiffres et discussion


Le ministère du travail annonce une baisse des adhésions aux syndicats en France.

La méthode utilisée par les chercheurs du ministère n’est pas claire.


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10,3 % des salariés français auraient été syndiqués en 2019. C’est ce que vient de publier le 1er février 2023 la Dares (2) (cellule d’enquête statistique et de recherche du ministère du Travail). L’année 2019 paraît déjà ancienne, qui correspond au monde d’avant la crise COVID. Avec les confinements et les replis individuels par peur de contracter la maladie, ce taux a probablement reculé depuis 2020.


Muette sur les dernières évolutions, la Dares parle bien de « léger repli » de 2013 (dernière mesure qu’elle avait effectuée) à 2019. Le taux était alors précisément de 11,2 %(3). Il avait été simplifié en 11 % en 2017(4). Et, si l’on remonte au début des années 2000, toujours selon la DARES, il était alors de « plus de 8 % »(5).


Mais la Dares n’a jamais parlé de remontée de ce taux entre les années 2000 et 2013 car, entretemps, elle a changé de méthode de calcul. Le progrès apparent (de 8 à 11) était un artefact. La Dares préférait dire que les enquêtes antérieures sous-estimaient la syndicalisation. Ainsi, depuis les années 2010, celle-ci dépassait donc le chiffre symbolique de 10 %. Cela pouvait donner l’impression que le déclin syndical, amorcé à la fin des années 1970, était stoppé. Et le taux de syndicalisation se trouve toujours – symboliquement – au-dessus de 10 % (au moins jusqu’en 2019). Les données concernant le XXe siècle ne seraient pas comparables avec les plus récentes.


-Interrogations sur la méthode de comptage-


Bref, ce taux a évolué au gré des méthodes de comptage admises par la Dares. Mais, sur le fond, ce taux reste faible, l’un des plus faibles des pays européens et son repli s’est probablement poursuivi depuis 2019, selon le témoignage de différents responsables syndicaux.

Les chiffres de la DARES


Examinons de plus près le document publié par le ministère du Travail. Il faut manifestement faire preuve de prudence concernant les nombreux chiffres qui sont proposés (6) – par exemple la catégorie socio-professionnelle croisée avec le secteur d’emploi, la branche d’activité, l’âge… – et dans les interprétations proposées. Cela vaut dès le premier intertitre : « Une baisse de la syndicalisation plus marquée dans la fonction publique ». Cette information paraît contre-intuitive et ne pas correspondre à ce qu’on observe sur le terrain. Elle mérite donc d'être vérifiée. Le graphique 1 en dessous de ce titre indique que, entre 2013 et 2019, la syndicalisation recule :

  • dans le privé de 8,7 à 7,8 %, soit : (7,8 - 8,7) / 8,7 x 100 = - 10,3 %

  • dans le public de 19,8 à 18,4 %, soit : (18,4 – 19,8) / 19,8 x 100) = - 7,1 %

L’intertitre aurait dû être exactement l'inverse de ce qui est écrit : « Une baisse de la syndicalisation nettement plus marquée dans le privé (- 10 %) que dans les fonctions publiques (- 7 %) ».


C'est donc la poursuite de la tendance antérieure qui a transformé la plupart des entreprises privées en déserts syndicaux. Quoi de plus logique au fond ? En effet, malgré la montée des emplois précaires, l'écrasante majorité des salariés des trois fonctions publiques disposent tout de même encore d'une stabilité d'emploi supérieure à celle de leurs collègues du privé, ce qui est un facteur favorable de la syndicalisation et explique qu'elle y résiste mieux.


Pourquoi cette erreur ? Outre des présupposés idéologiques, la Dares ignore manifestement que les nombres fractionnaires (ce que sont les pourcentages) ne peuvent s'additionner ou se soustraire qu'après avoir été réduits à un dénominateur commun. L'opération au numérateur est bien faite (les points de pourcentage) mais le dénominateur est oublié, ce qui amène cette courte étude à des conclusions souvent erronées (quand il s'agit d’établir des tendances).


À ce propos, il est utile de rappeler deux autres règles statistiques élémentaires.


Premièrement, une proportion ne peut pas être plus précise que les effectifs absolus avec lesquels elle est calculée. Par exemple, il y a, dans l’échantillon des 2 300 syndiqués, un peu plus d’une centaine de policiers et de personnels civils de la défense. Or le document affirme que le taux de syndicalisation dans ces personnels serait de « 36,5% ». La présence de la décimale indique que la Dares a coupé en dixièmes chacun de ces syndiqués figurant au numérateur ! De manière générale, dès que l'on descend dans le détail des « syndiqués » - secteur d’activité ou tranches d’âge -, la faiblesse des effectifs absolus aurait dû conduire à renoncer aux décimales (pour les taux de syndicalisation) et aux « points de pourcentage » pour les évolutions.


Deuxièmement, les résultats d'une enquête sur échantillon doivent être affectés d'une marge d'incertitude (à tort appelée "marge d'erreur"), inhérente à la méthode même, et cette marge est d'autant plus forte que les effectifs observés sont petits (7). La plupart des conclusions sectorielles présentées dans l’étude de la Dares ne respectent pas cette prudence élémentaire.


Il y a aussi beaucoup de superficialité dans cette étude. Par exemple, il faut rappeler qu'il n'y a pas deux secteurs mais trois : les fonctionnaires, les salariés à statut (SNCF, EDF, RATP, Banque de France...) et le privé de droit commun qui emploie la grande masse des salariés. Les principaux bastions du syndicalisme se trouvent aujourd'hui dans ces entreprises à statut que la Dares classe abusivement dans le « privé ».

L’évolution des adhérents à la CGT 2017 à 2020

Source : rapport financier au 53e congrès (27-31 mars 2023)


Autres interrogations de fond : la question posée dans le sondage, dont les résultats sont utilisés par la Dares, est mal formulée. Il faudrait demander aux enquêtés : « Cotisez-vous à un syndicat de salariés » ou, plus clairement encore : « Payez-vous une cotisation à un syndicat ? » Car si le verbe « adhérer » (retenu par la Dares) est flou (ce peut être adhérer aux idées mais pas forcément à l’organisation), « payer », lui, ne l'est pas. Ainsi formulée la question aboutirait certainement à des effectifs syndiqués plus restreints.


Cette enquête comporte également un oubli fâcheux. Logiquement, ceux qui répondent « oui » (à l’adhésion à un syndicat) devraient immédiatement se voir demander : « A quelle organisation ? » Cet oubli est répété d'enquête en enquête. Il est délibéré. Il nous prive de toute possibilité d'estimer les effectifs de chaque organisation. Ou plus précisément, il laisse les organisations syndicales libres de continuer à formuler des prétentions. Il serait pourtant facile de faire la transparence, une fois pour toutes.


Malgré son caractère flou, la photographie qui est livrée de la syndicalisation ne manque pas d'intérêt : elle confirme que le syndicalisme est essentiellement présent dans les trois fonctions publiques (État, collectivités territoriales, hôpitaux), les entreprises à statut et quelques grands groupes privés, notamment la banque et les assurances ; enfin, le syndicalisme est le fait de gens plutôt diplômés et âgés.


L'âge est l'explication essentielle du lent déclin des implantations syndicales. L'enquête confirme la faible adhésion des jeunes. Cela signifie que les syndicalistes qui partent à la retraite n'ont pas toujours de relève.


Enfin, le recul important dans le secteur privé – que cette enquête minimise à tort – coïncide avec la mise en place des CSE (comités sociaux et économiques) qui, de fait, supprime les délégués du personnel et les CHS-CT, seules institutions qui assuraient des contacts réguliers, sur le lieu même du travail, entre les salariés et les syndicalistes.


-Trois remarques pour conclure-


Premièrement, qu'il soit de 10 % ou de 7 % - d'après d’autres travaux antérieurs – les conclusions essentielles sont les mêmes : le taux de syndicalisation en France et l'un des plus bas des pays européens comparables ; entre 2013 et 2019, ce taux continue de reculer. Ce recul s’accompagne d’un désengagement croissant de la masse des salariés envers toute action collective sur le lieu du travail, désengagement particulièrement marqué chez les jeunes. Pour le reste, le détail de l'étude n’est guère utilisable, sauf à refaire les calculs, en se souvenant des limites indiquées ci-dessus.


Deuxièmement, il ne faut surtout pas jeter le bébé avec l'eau du bain. L'enquête « conditions de travail », utilisée ici, est sérieuse et l'on peut d'ailleurs regretter que ses résultats ne soient pas étudiés attentivement et avec plus d’ouverture. Ils montrent en effet une dégradation des conditions de travail(8). Cela devrait attirer davantage l'attention.


Troisièmement, rappelons que la couverture de l’ensemble des salariés du privé (quelque 20 millions d’emplois) par les institutions représentatives du personnel syndiquées n’a cessé de reculer depuis la fin des années 1970. En particulier, en 2016, plus de quatre salariés sur dix employés dans le secteur privé n'ont aucune représentation, aucune élection dans l'établissement où ils travaillent. Depuis 1995, la proportion des salariés disposant d’un CE a diminué de près de 40 %(9). Dès lors, la majorité des salariés du privé se trouvent matériellement privés de la possibilité d'adhérer à un syndicat qui n'existe tout simplement pas sur leur lieu de travail ni près de leur lieu d'habitation. On s'attendrait donc à ce que l'étude fasse apparaître un nombre de sympathisants nettement plus nombreux que les adhérents. Or c'est l'inverse ! Là encore, la formulation de la question pose problème. Il n’en reste pas moins que la proportion de sympathisants semble dérisoire et souligne combien la popularité des syndicats serait faible parmi les salariés. Les mobilisations sociales contre la réforme des retraites de 2023 amorcent-elles une inversion de tendance?


CGT : le rapport financier au 53e congrès


par Dominique Andolfatto et Dominique Labbé (1)

(1) D. Andolfatto et D. Labbé ont publié Anatomie du syndicalisme (PUG) en 2021. Présentation en ligne : https://www.pug.fr/produit/1926/9782706151279/anatomie-du-syndicalisme%C2%A0

(2) « Léger repli de la syndicalisation en France entre 2013 et 2019 », Dares Analyses, n° 06, Févier 2023. En ligne : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/73d70d2f04ce15c6ee16dbd65c81601e/2023-06.pdf (3) « La syndicalisation en France. Des salariés deux fois plus syndiqués dans la fonction publique », Dares Analyses, n° 025, mai 2016. En ligne : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/la-syndicalisation-en-france-des-salaries-deux-fois-plus-syndiques-dans-la-fonction

(4) « De l’adhérent au responsable syndical. Quelles évolutions dans l’engagement des salariés syndiqués ? », Dares Analyses, n°015, mars 2017. En ligne : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publications/de-l-adherent-au-responsable-syndical

(5) « Mythes et réalités de la syndicalisation en France », Dares Résultats, n° 44-2, 29 octobre 2004. En ligne : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/mythes-et-realites-de-la-syndicalisation-en-france

(6) L’enquête est basée sur un échantillon de 22 400 salariés, dont 10,3 % déclarent adhérer à une organisation syndicale.

(7) L’intervalle de confiance, autour de la valeur observée, est égal à cette valeur plus ou moins deux fois la racine carrée des effectifs absolus observés. Par exemple, pour la « sécurité et la défense », la formulation statistique complète serait : il y a moins de 5% de chances de se tromper en affirmant que, en 2019, le taux de syndicalisation dans ce secteur était compris entre 31% et 43% (valeur observée 37%). La conclusion essentielle demeure : ces personnels ont une propension à se syndiquer nettement supérieure à celle des autres fonctionnaires. En revanche, il est impossible d’affirmer que cette syndicalisation progresserait entre 2013 et 2016 (contrairement à ce que prétend la Dares) puisque la borne inférieure de l’intervalle de confiance (31%) est moindre que la valeur observée en 2013, soit 32%. On ne peut donc pas écarter deux autres hypothèses : un taux stagnant, voire un léger recul… (8) Voir : D. Andolfatto et D. Labbé, « Crise des retraites : un contre-modèle social », Le Débat, n° 209, 2020, p. 4-15.

(9) Voir : D. Andolfatto et D. Labbé, «Les résultats des élections professionnelles dans les entreprises du secteur privé (2013-2016) ». Droit social, 12, décembre 2019, p 1047-1053.



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