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Photo du rédacteurBernard Vivier

53ème congrès CGT : sortie de crise par le haut


Le 53ème congrès de la CGT s’est tenu à Cournon d’Auvergne, près de Clermont-Ferrand, du 27 au 31 mars 2023. Ce fut un congrès de confusion, traversé par des querelles internes, révélatrices d’un affaissement grave de la dynamique confédérale. Le dernier jour, l’élection inattendue de Sophie Binet au poste de secrétaire général de la confédération a redonné une perspective à l’organisation. Vers où ?


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Les congrès de la CGT étaient jadis des moments particulièrement bien ordonnés pour ne pas dire bien policés. Les rapports d’activité, financier et les documents d’orientation y étaient votés à une écrasante majorité de plus de 90% ou 95% des votants. La mise en place de la nouvelle direction confédérale, soigneusement préparée depuis les instances du Parti communiste, faisait l’objet d’un vote lui aussi parfaitement bien huilé. Le secrétaire général de la CGT était membre du Bureau politique du Parti communiste, lui-même étroitement relié à l’Union soviétique. L’ordre régnait à Moscou, à Kiev et à la CGT.


C’était avant.


Depuis l’effondrement du communisme en Europe et en France, la CGT n’est plus dirigée par le Parti communiste. Aucun logiciel ne lui est plus fourni de l’extérieur pour programmer son action et mettre sur pied son équipe dirigeante. Sans avoir elle-même décidé de s’affranchir de cette tutelle extérieure, la CGT a été confrontée dans les années 1990 à un défi terrible pour elle : être libre, penser son avenir à partir d’elle-même, de ses seules réalités professionnelles et syndicales.


Nous pouvons ainsi analyser ce qui se passe à la CGT en situant la période présente dans la longue histoire de cette organisation.


- L'âge de la construction -


Née en 1895, la CGT a été, dès ses origines, traversée par trois conceptions de l’action syndicale :

  • réformiste,

  • socialiste (révolutionnaire dirait on aujourd’hui),

  • anarcho-syndicaliste.

Cette dernière tendance était très active, après un siècle d’interdiction de toute liberté d’association en France, de la loi Le Chapelier en 1791 à la loi Jules-Ferry / Waldeck-Rousseau en 1884 et à la loi du même Waldeck-Rousseau sur les associations non professionnelles en 1901.

De 1895 à 1947, la CGT a été dans l’âge de sa construction. Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT de 1909 (il avait 30 ans) à 1947 ( pendant 38 années donc) a incarné lui-même le passage de l’anarcho-syndicalisme au réformisme. La CGT a pu développer l’affirmation d’une ligne syndicale appelant à une transformation sociale qui valorise la négociation collective et l’indépendance du syndicat et du parti. Au sortir de la première guerre mondiale, la création de l’Internationale communiste a violemment bousculé la CGT, qui a vécu une scission en 1921 (création de la CGTU d’obédience communiste) puis une réunification au moment du Front populaire en 1936, avant une nouvelle scission en 1939 et une deuxième réunification dans la clandestinité en 1943.


- L'âge de la glaciation -


Dès la Libération, la lutte pour le pouvoir reprit de plus belle. Les communistes arrivèrent très vite à leurs fins en 1947 et prirent le contrôle de l’appareil confédéral. La CGT-Force ouvrière vit alors le jour, justifiée par le désir impérieux des militants non-communistes de maintenir la CGT et avec elle un syndicalisme libre de toute emprise politique. Aujourd’hui encore, l’ADN de Force ouvrière contient en bonne place cet attachement à la négociation collective et à l’indépendance syndicale. Contrepartie : la présence au sein de Force ouvrière de militants qui, sur le plan politique, peuvent exprimer des sympathies allant du Rassemblement national aux mouvements trotskystes.

A la CGT, une longue période s’ouvrit alors de verrouillage de l’organisation. L’âge de la glaciation allait durer plusieurs décennies. La quasi-totalité des secrétaires généraux des fédérations professionnelles et des unions départementales étaient membres du PCF. Ce sont eux qui, composant le Comité confédéral national (CCN), désignaient les membres du Bureau confédéral. Celui-ci, vitrine de la CGT, était à son tour garni de militants communistes dont plusieurs d’entre eux étaient membres du Comité central du PCF et deux d’entre eux dont le Secrétaire général, membres du Bureau politique, la plus haute instance du PCF. Ce fut le cas des secrétaires généraux de la CGT de 1947 à 1992, avec Benoit Frachon, Georges Séguy et Henri Krasucki. Pour assurer un contrôle complet de l’organisation syndicale française, les Soviétiques veillaient à ce que l’adhésion de la CGT et de ses fédérations professionnelles à la Fédération syndicale mondiale (FSM) fut la plus efficace possible. Le siège de la FSM fut longtemps à Prague, en Tchécoslovaquie communiste.

La salle du 53eme congrès


La chute du mur de Berlin en 1989 et la fin de l’Union soviétique fin 1991 eurent comme conséquence directe et quasi immédiate la fin du lien de subordination. Louis Viannet, succédant à Henri Krasucki en 1992, prit la mesure du problème. Moins connu aujourd’hui dans nos mémoires que Henri Krasucki, il fut un grand secrétaire général qui, à l’instar de Mickaël Gorbatchev en Russie, tenta d’opérer les adaptations nécessaires. En 1995, il fit modifier les statuts de la CGT et permit à la CGT de quitter la FSM. Il prépara l’adhésion de la CGT à la Confédération européenne des syndicats, adhésion officialisée quelques semaines après son départ début 1999, qu’il organisa au profit de Bernard Thibault.

Ce dernier poursuivit le travail de son prédécesseur. Il conjugua pendant les quatorze années de son mandat (1999 à 2013) un syndicalisme alliant contestation et négociation. Sans pour autant organiser un débat interne – qui aurait été impossible, tant la culture marxiste imprégnait toujours la maison- il ouvrit la voie à une évolution possible d’un syndicalisme de rupture radicale et de contestation vers un syndicalisme de revendication.


- L'âge de la confusion -


Cette évolution n’eût pas lieu. La préparation de la succession de Bernard Thibault fut un échec. Les corporatismes internes tout autant que les divergences de vue idéologiques empêchèrent l’arrivée au poste de secrétaire général de Nadine Prigent, souhaitée par Bernard Thibault. Une seconde militante, Agnès Naton, fut pareillement bloquée dans cette voie. A l’approche du congrès de 2013, un secrétaire général fut trouvé, un peu en dernier recours, en la personne de Thierry Le Paon. Peu expérimenté, il fut victime des querelles internes et, sur un prétexte de dépenses exagérées pour son logement et son bureau, il dut démissionner, entrainant dans sa chute la démission de l’ensemble du Bureau confédéral, dont les membres s‘engagèrent alors à ne pas se porter candidat à leur propre succession. En février 2015, Philippe Martinez devint secrétaire général, nommé donc par le CCN entre deux congrès. Confirmé dans son mandat à l’occasion du congrès de 2016 puis de celui de 2019, Philippe Martinez n’eût pas d’autre politique que celle du discours contestataire, pour rassembler les courants les plus divers sur des pratiques connues depuis plusieurs dizaines d’années, à savoir celles de la contestation et de la lutte des classes.

Pendant ce temps, l’évolution du monde du travail, l’évolution de la sociologie des salariés (baisse du nombre d’ouvriers, montée en nombre des personnels d’encadrement) et l’évolution des relations sociales (montée lente mais réelle de la pratique de la négociation dans les entreprises) rendaient moins attractif auprès des salariés un discours CGT resté ancré sur un logiciel vieillissant.

Ce sur-place intellectuel se conjuguait avec la quasi-impossibilité de réorganiser le champ des fédérations et l’organisation de l’action militante.

Qui n’avance pas recule. De fait, en 2017, alors que la CFDT maintenait son score électoral auprès des salariés, celui de la CGT s’érodait. Cette année-là, la CGT régressait derrière la CFDT et perdait sa place de première organisation syndicale au niveau national.

Cet âge de la confusion dure donc depuis 2013. Philippe Martinez, pareillement que Bernard Thibault en 2013, n’arriva pas à convaincre les composantes de la CGT d’accepter la personne de Marie Buisson pour lui succéder. Le caractère ombrageux et fermé du secrétaire général sortant, sa difficulté à déployer un processus de prise de décisions partagées aggravèrent la situation.


Le congrès qui vient de s’achever à Clermont-Ferrand fin mars 2023 marque certes l’échec de Philippe Martinez. Il souligne surtout l’immense difficulté de l’organisation à adapter ses structures internes et à se doter d’un programme d’action adapté aux données actuelles du monde du travail, des générations montantes, des formes nouvelles de l’engagement collectif, des aspirations sociales.


Le rapport d’activité n’a pas été adopté, sanction grave pour l’équipe sortante : une première à la CGT. Marie Buisson a été élue à la Commission exécutive en dernière position par les délégués et n’a pas pu faire valider sa proposition de Bureau confédéral par le Comité confédéral national (CCN), véritable organe de direction entre deux congrès et chargé de nommer l’équipe dirigeante. Elle-même n’entre pas au Bureau confédéral.

L’opposition entre Céline Verzeletti et Marie Buisson tournant au blocage de tout le processus de mise en place d’un nouveau Bureau confédéral, il fallut trouver un troisième personnage. La nuit du jeudi 30 au vendredi 31 mars fut une nuit sans sommeil pour les dirigeants de la confédération. Ce troisième personnage fut trouvé. Ce fut Sophie Binet.


- Seizième secrétaire général de la CGT -


Peu connue encore du grand public, Sophie Binet est une militante de grande qualité, qui présente de nombreux atouts. Jeune (41 ans), femme (dans ce congrès où le critère du sexe féminin était devenu un critère de choix quasi incontournable), Sophie Binet conjugue une présentation personnelle souriante et une expérience très affirmée de la lutte syndicale. Sa maîtrise de l’expression publique fait d’elle une dialecticienne solide dans les débats et les passages media. Elle est le seizième secrétaire général de la CGT, à travers la CGTU, depuis 1895 (à Force ouvrière, Fréderic Souillot en est le quatorzième).

Après des études de philosophie, elle est entrée dans la fonction publique, comme conseiller principal d’éducation à Marseille puis au Blanc-Mesnil en Seine Saint-Denis, poste compatible avec une carrière de permanent syndical.

Depuis ses années étudiantes en région nantaise où elle se fit remarquer au sein de l’UNEF en 2006 dans la mobilisation contre la réforme de Dominique de Villepin créant le Contrat première embauche (CPE), jusqu’à ses responsabilités actuelles de secrétaire générale de l’Union des cadres CGT (UGICT-CGT), Sophie Binet a conduit un beau parcours de dirigeante syndicale. En 2013 (elle avait 33 ans), elle entrait déjà au Bureau confédéral, jusqu’en 2015.

Son discours de clôture du 53ème congrès, vendredi 31 mars, a souligné sa volonté de rassembler les courants internes déchirés au sein de la CGT.

Sophie Binet et Laurent Brun à la clôture du congrès


La ligne de contestation et de lutte des classes a été clairement énoncée par ses soins. Cette ligne est la seule présentement possible pour elle, compte tenu de l’état de nervosité interne au sein de la CGT.

Ce discours de l’intransigeance sera-t-il le sien dans la durée ? On peut noter que ses premiers pas en syndicalisme au sein de l’UNEF étaient marqués par une sensibilité socialiste. On peut aussi noter que son engagement syndical à la CGT ne s’est pas accompagné de l’affichage revendiqué d’une adhésion à un parti politique. Mais qu’en 2022, elle a repris la chronique que rédigeait jusqu’alors Jean-Christophe Le Duigou chaque semaine dans les colonnes de L’Humanité Magazine (ex L’Humanité dimanche). La dernière était consacrée à Bernard Arnault, propriétaire du quotidien Les Echos. Dans le numéro du 30 mars au 5 avril, toujours en page 11 et sur fond rouge, on lisait que « la concurrence ne suffit pas à protéger l’information, face aux puissants qui savent toujours protéger leurs intérêts de classe ».

Bien placée entre les différentes tendances actuelles de la CGT, entre conservation et ouverture, Sophie Binet se trouve aussi au carrefour de tous les possibles. Et de tous les dangers pour l’avenir de la CGT.

Pour l’heure, la CGT vient de sortir par le haut d’une grave crise interne. Le travail de reconstruction s’annonce difficile, le Bureau confédéral étant garni de plusieurs dirigeants marqués par la lutte des classes, comme Céline Verzeletti qui s’y maintient, ou Sébastien Ménesplier, secrétaire général de la fédération mines-énergie ou encore Laurent Brun qui y font leur entrée.


- Une ligne d'intransigeance -


Ce dernier, secrétaire général des cheminots CGT depuis 2018, occupe désormais le poste d’administrateur de la CGT (on dit trésorier dans d’autres organisations). Il remplace David Dugué appelé à diriger la formation des militants CGT et le Centre Benoit Frachon à Gif sur Yvette. Laurent Brun, qui caressa naguère l’idée de succéder à Philippe Martinez au poste de secrétaire général de la confédération, dispose d’un poste clé dans l’organisation.

Les fractures idéologiques et les clivages politiques sont nombreux à la CGT. Les militants du Parti communiste y sont désormais minoritaires, ceux de La France insoumise y sont très actifs, rivalisant aussi avec les militants trotskystes de Lutte ouvrière et ceux du Nouveau Parti Anticapitaliste. Sans oublier les nostalgiques de la FSM et les admirateurs de Cuba, de la Corée du nord et du Vénézuela comme Olivier Mateu, secrétaire général de la CGT Bouches du Rhône qui ambitionnait lui aussi de succéder à Philippe Martinez à ce 53ème congrès.

L’épreuve immédiate de Sophie Binet est celle de la construction d’une équipe apaisée et, si cela est possible, d’une équipe soucieuse de l’adaptation de la CGT aux évolutions de la société et du monde du travail. Répétons-le: si cela est possible. Les recongelés de la Guerre froide ont encore du répondant. Et Sophie Binet devra exprimer une ligne d’intransigeance qui pourrait presque faire regretter les ronchonnements de Philippe Martinez.


par Bernard Vivier le 4 avril 2023


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